Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/331

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non plus dans l’armée sarde ou piémontaise, mais dans l’armée italienne, confondant dans ses rangs tous les enfants de la péninsule, de la mer Tyrrhénienne à l’Adriatique.

Plusieurs fois, dans le cours de la traversée, le capitaine Renucci avait abordé ce douloureux sujet, et Pierre avait fini par s’enthousiasmer lui-même pour cette cause généreuse de l’indépendance d’un grand pays.

La traversée lui avait paru moins triste et moins longue dans le milieu de sympathie qui l’entourait, et il avait encore accru cette sympathie en racontant à ses auditeurs ce qu’il savait du séjour de l’Empereur Napoléon à l’île l’Elbe, le jour où la Stella était passée en vue de cette île célèbre.

Le lendemain, le bâtiment était à hauteur de la Spezzia, petite ville devenue aujourd’hui le plus grand arsenal de guerre de l’Italie, et son commandant, un brave homme qu’on n’apercevait guère qu’à son poste de commandement, avait annoncé l’arrivée à Gênes pour le surlendemain de bonne heure, lorsque, vers la tombée de la nuit, un gros nuage couleur de cuivre apparut dans la direction du Sud.

— Un mauvais grain… dit le capitaine Renucci ; le commandant vient de faire la grimace.

— Et il fait carguer les voiles, ajouta Pierre, ce qui prouve qu’il s’attend à un fort coup de vent.

Une heure après, le coup de vent en question avait atteint les proportions d’un véritable ouragan, sifflant avec fureur dans les cordages et faisant fléchir les mâts.

La mer était devenue couleur d’encre ; des éclairs terrifiants zébraient la nue, et la Stella, courbée sous le souffle puissant de la tempête, embarquait d’énormes paquets de mer, se dressant debout sur la crête des vagues et plongeant aussitôt après dans des abîmes qui paraissaient sans fond. Un tonnerre continu roulait au ciel.

— Parez les embarcations ! ordonna en italien le commandant du bord.

Et cet ordre que Pierre avait entendu était gros d’inquiétudes.

Dès les premières secousses, des marins avaient fixé, à l’aide de cordes, le cercueil de Henri Cardignac, pour qu’il ne fût pas ballotté par la tempête comme un vulgaire colis, et sœur Marie-Agnès était venue s’agenouiller auprès de lui, se tenant des deux mains aux cordes qui le maintenaient. Les bougies qui brûlaient nuit et jour dans la chapelle ardente venaient de s’éteindre.