Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/333

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deux sangles, placées à l’orifice de cette poche, étaient destinées à y maintenir l’enfant, de manière que, sans gêner les mouvements du nageur, il eût toujours la tête hors de l’eau.

— Est-ce que vraiment, murmura Pierre avec inquiétude, nous serions en danger ?

Maintenant la tempête faisait rage ; le navire exécutait des bonds désordonnés et toutes ses membrures craquaient lugubrement.

Entre deux coups de tonnerre, Lucienne dit à son frère :

— Je t’en prie, Pierre, mets la ceinture de sauvetage et plaçons-y cet enfant, je serai plus tranquille.

Ce ne fut pas sans peine que le jeune homme endossa le singulier vêtement, car l’enfant le gênait et Lucienne n’avait pas trop de ses deux mains pour se cramponner aux cordes. Par bonheur, une voix se fit entendre au milieu du vacarme et Pierre reconnut le capitaine Renucci.

— Ça va mal, dit l’officier italien : la barre est brisée, le bâtiment ne gouverne plus et nous sommes à la merci du hasard.

— Nous sommes à la merci de Dieu ! dit sœur Agnès.

— Vous avez raison, ma sœur, nous sommes dans sa main ; mais j’ai bien peur qu’il ne l’ouvre et ne nous lâche, car, avec ce vent-là, nous allons droit à la côte et elle n’est pas loin.

Tout en faisant ces réflexions, le vieil officier s’était chargé du petit Russe et Pierre avait revêtu l’appareil ; puis le capitaine plaça et assujettit l’enfant dans la poche qui lui était destinée.

Si la situation n’avait pas été aussi terrible, l’accoutrement du jeune homme eût prêté à rire, car il avait l’air d’une de ces mères sauvages qui portent leur rejeton invariablement ficelé sur leur dos pendant qu’elles marchent et qu’elles travaillent.

Mais le tableau était lugubre et deux matelots qui vinrent se réfugier près d’eux, ruisselants d’eau, déclarèrent :

— Niente da fare[1].

Puis, au-dessus de leur tête, le grand mât s’abattit avec un bruit épouvantable et les marins se signèrent.

Sœur Marie-Agnès s’était remise à prier.

  1. Il n’y a plus rien à faire !