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— J’espère bien, dit-elle, que Jean, quand il reviendra, n’aura pas l’idée de faire plus tard un soldat de cet enfant.

Le petit Russe avait passé assez facilement des bras de sa mère morte dans ceux de sœur Marie-Agnès.

Il passa de même des bras de Pierre dans ceux d’une brave campagnarde à qui le confia Valentine.

Il avait à peu près l’âge de son fils Georges, un peu plus de deux ans, du moins pouvait-on le présumer, car la date de sa naissance était inconnue. Peu à peu, il devait paraître plus âgé que Georges, car il se développait plus rapidement, comme il arrive d’ailleurs aux races orientales dont la maturité est précoce, mais chez lesquelles aussi les signes de la vieillesse apparaissent plus rapidement que dans les pays d’Occident.

Avec ses yeux noirs, enfoncés, très petits et très vifs, ses sourcils rares, son teint olivâtre, ses cheveux légèrement crépus et d’un noir bleu, ses membres gros, son torse râblé, il formait un contraste frappant avec le petit Georges Cardignac, et ce contraste s’étendait jusqu’au caractère, car le petit Russe était calme, doux, silencieux, criant rarement et ne pleurant jamais.

Georges Cardignac était devenu un bel enfant dont les grands yeux bleus, étonnés et rieurs, faisaient la joie de Valentine : ses cheveux, presque blonds à sa naissance, tournaient au blond vénitien ; il était rose comme un amour de Bouguereau et sa petite bouche appelait le baiser. Par une bizarrerie de la nature, cet enfant d’un savant peu enclin à la gaieté et d’une femme sérieuse, comme la nièce de M. Normand, était d’une gaieté folle, et son rire frais et bruyant emplissait déjà la maison ; mais aussi il avait des colères subites, criait, tapait du pied et son caractère tenait plutôt de celui de son oncle Henri que de celui de son père.

La vérité est que sa pétulance, sa gaieté, ses impatiences, son besoin de caresses le rapprochaient du colonel Cardignac, son grand-père, dont il n’avait pas les yeux noirs, mais dont il possédait cependant le regard expressif et lumineux.

Les trois mois de congé de Pierre allaient toucher à leur fin et Jean n’était pas encore de retour. Valentine qui se sentait trop seule, pria le jeune maréchal des logis de faire prolonger son congé ou de renoncer à l’Afrique.

Et chose étonnante, mes enfants, ce fut le deuxième parti que choisit le