Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/372

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Vous allez voir qu’il y avait de quoi.

Les Croates, se voyant découverts et pris comme dans une souricière, avaient demandé merci en jetant leurs armes, et, dans le premier qui avait été amené devant lui, notre ami, stupéfait, avait reconnu son adversaire de Milan, le farouche garnisaire de Mme Renucci.

Il n’était donc pas mort du furieux coup de pointe qu’il avait reçu sur les bords de l’Olona, et Pierre, qui n’avait jamais entendu reparler de lui et n’avait jamais désiré le voir passer de vie à trépas, éprouva une vraie satisfaction en le retrouvant sur pied plus massif que jamais.

De son côté, le colosse, après un premier moment d’hébétement, avait reconnu le Français à qui il avait essayé de faire apprécier la vigueur de « ses coups de tête », et une grimace si tourmentée se dessina sur sa large face que Pierre ne put s’empêcher de sourire.

Ce n’était plus le soudard hautain et provoquant de jadis, faisant sonner lourdement son sabre sur le seuil de la maison qu’il regardait comme sienne ; c’était un pauvre diable bien « embêté » de se trouver là, et que nulle velléité d’héroïsme ne tourmentait, à cette heure difficile de son existence.

S’il eût pu formuler un désir, il n’eût pas trouvé d’autre phrase que celle d’Hyacinthe dans une pièce connue du Palais-Royal : « Je voudrais bien m’en aller… »

Pierre comprit-il ce muet désir ? céda-t-il à ce besoin quelquefois irréfléchi de générosité qui est la caractéristique de notre nation, parfois si peu pondérée ?

À vous dire vrai, mes enfants, je crois plutôt que la vue du soudard, en évoquant soudain au fond de son cœur des souvenirs très vivaces, venait de faire jaillir devant ses yeux la pure et noble figure de celle qu’il considérait déjà comme sa fiancée, et qu’à cette évocation une idée folle lui avait aussitôt traversé le cerveau.

Depuis qu’il avait mis le pied en Italie, il s’était demandé cent fois comment il pourrait faire parvenir un mot à la mère de Margarita et cent fois il avait été obligé d’y renoncer, puisque les Autrichiens, occupant la capitale de la Lombardie et l’ayant mise en état de siège, n’eussent jamais laissé pénétrer une lettre dans la maison suspecte des Renucci.

Cette lettre, qu’il avait recommencée trois fois déjà et qu’il tenait prête à tout hasard, comme s’il y eût vraiment un Dieu pour lui, pourquoi ne l’expé-