Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le 19 juillet de cette année, « l’année terrible » comme on l’a appelée, se dressa une question diplomatique, au premier abord sans grande importance pour nous : la question de la succession au trône d’Espagne. La couronne fut offerte au prince Léopold de Hohenzollern, cousin du roi de Prusse ; l’Empereur Napoléon déclara qu’il ne souffrirait pas cette candidature.

Elle fut retirée ; mais, non content de cette solution, l’Empereur fit demander au Roi de Prusse « l’assurance qu’il ne l’autoriserait, pas de nouveau ».

Étonné de cette insistance, Guillaume déclara à l’ambassadeur français, en gare d’Ems, qu’il n’avait plus rien à lui communiquer.

Ce fut cette dépêche d’Ems que Bismarck falsifia, — il s’en est vanté depuis, — et rédigea, en la communiquant à la presse allemande, de façon à ce que la France outragée fût poussée à déclarer la guerre.

Son plan réussit. Malgré les supplications de Thiers, le grand historien du Consulat et de l’Empire, opposé à cette lutte qu’il sentait inégale, la guerre fut déclarée le 19 juillet. La France courait aux abîmes !

Le lendemain, Pierre Bertigny entra en coup de vent dans le bureau du colonel Cardignac, penché sur l’épure d’un « monitor ».

— Eh bien, mon colonel, fit-il joyeusement, on va donc en découdre avec ces fameux Prussiens ; il n’est que temps : ils devenaient encombrants et nos sabres commençaient à se rouiller !

Jean Cardignac regarda tristement le capitaine de chasseurs. Le colonel avait beaucoup vieilli ; une épaisse moustache blanche ombrageait sa lèvre et son regard était teinté d’une profonde mélancolie.

Pierre Bertigny lui-même d’ailleurs n’était plus jeune : il avait maintenant quarante ans, et s’il avait conservé sa verte allure et une taille de sous-lieutenant, il avait les cheveux clairsemés et quelques fils d’argent dans « l’impériale » qu’il portait depuis son entrée aux guides.

— Voyons, mon colonel, réitéra-t-il avec un accent de réelle surprise, vous ne paraissez pas rassuré : vous êtes le seul, vous savez !… Au régiment, nous sommes tous emballés, et notre chef d’escadron nous a dit carrément hier que, dans quinze jours, nous serions dans le grand-duché de Bade… Mais vraiment !… vous n’avez pas l’air convaincu ?…

Le colonel se leva, et gravement :