Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/408

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— Oui, mon colonel, fit-il en laissant retomber la main dans le rang, c’est moi : je ne me doutais guère, quand j’ai mis mon vieil uniforme dans l’armoire en 65, que je le sortirais de là… Mais après toutes les nouvelles que j’ai entendu raconter, y avait plus d’hésitation possible, pas vrai ?… Alors j’ai été trouver l’Intendant ; « je m’ai rengagé » pour la durée de la guerre, il m’a donné une feuille de route pour Metz, et voilà…

— Donne-moi ta main, Mahurec, dit le colonel d’une voix, pénétrée ; c’est bien, ce que tu as fait là !… Et se tournant vers sa femme :

— Tu vois, mon amie… voilà une nouvelle preuve de ce que je te disais tout à l’heure : ce sont ces humbles-là qui nous montrent le chemin, à nous autres…

— Mon colonel, interrompit Mahurec dont l’œil se voila, ne me faites pas de compliments… Je ne les mérite pas, vous allez voir pourquoi… J’aurais dû vous donner de mes nouvelles quand j’ai été marié, je n’aurais pas tant de peine à vous dire ça aujourd’hui…

— Que veux-tu dire, mon brave ?

— Voilà, mon colonel. Vous savez bien, Yvonne, la vraie, ma promise que j’ai épousée en rentrant du service… eh bien, elle est morte, il y a un an, à Paimpol… Alors qu’est-ce que vous voulez qui me retienne ?… Je me suis dit : « On te donnera une pièce comme autrefois, tu l’appelleras Yvonne comme autrefois et peut-être qu’au milieu des dangers, tu auras moins de peine… »

— Mais n’as-tu pas un petit gars ?

— Oui, mais si petit… Il s’appelle Yan ; je l’ai laissé à la mère d’Yvonne, une bonne vieille qui me le gardera. Ce n’est pas lui qui pouvait me retenir, vous pensez bien… Seulement, avant de partir de Morlaix, j’ai fait un détour pour vous voir… Je m’ai dit : « Allons demander au colonel ce qu’il pense de tout ça. »

— Je pense comme toi, Mahurec : l’heure est venue de marcher pour nous autres, les vieux d’Italie et de Crimée.

— Alors, ça ne va décidément pas ?

— Non, ça va de plus en plus mal : l’ennemi a franchi les Vosges, tous nos corps se replient sur Metz ; le Maréchal Lebœuf vient de résigner ses fonctions de major général, et l’Empereur va probablement abandonner