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Jean Cardignac, en uniforme de colonel d’artillerie, l’attendait, et derrière lui, Georgewitz, portant sa cantine, se disposait à l’accompagner à la gare.

Ce que furent les adieux, vous le devinez, mes enfants.

Georges, le sourcil froncé, faisait de violents efforts pour retenir ses larmes, et quand son père se pencha vers lui pour l’embrasser :

— Père, dit-il tout bas… bientôt… à la prochaine bataille perdue… je te rejoindrai !…

Sans lui répondre, le colonel le serra dans ses bras.

Et pendant que M. Jacques Normand, le frère de Valentine, péniblement impressionné par ce départ inattendu, accompagnait Jean Cardignac à la gare, la mère de Georges s’abîmait dans une prostration désespérée, semblable à cette Gauloise d’un tableau fameux, qui, penchée sur le corps de son fils tué, maudit « la guerre détestée des mères ».


Quand Jean Cardignac et Mahurec débarquèrent à Paris, le 12 août, la grande ville était dans la consternation : les mauvaises nouvelles se succédaient d’heure en heure. Mac-Mahon avait battu en retraite sur Châlons, mais il était coupé de l’Empereur qui, de son côté, ne commandait plus que nominalement.

Les Prussiens atteignaient la Sarre ; l’Empereur, pour ne pas se laisser enfermer dans Metz, allait, disait-on, rejoindre Mac-Mahon. On ignorait les projets de ce dernier : allait-il se rabattre sur Paris ou se porter au secours de Metz ? La prudence eût exigé le premier parti ; l’Impératrice penchait pour le second, craignant que la retraite sur Paris ne fût le signal de la chute du trône impérial.

Les rues étaient remplies d’une foule houleuse et menaçante : le mot de trahison commençait à circuler. Des bataillons de garde mobile, cette milice nouvelle, mal instruite et mal armée, qui constituait l’armée de deuxième ligne, traversaient Paris pour s’embarquer ; ils jetaient aux échos du boulevard les paroles de la Marseillaise ; mais ce n’était plus dans leurs bouches le chant farouche des bandes républicaines marchant contre l’ennemi de la Patrie : beaucoup chantaient pour s’étourdir, et, comme l’avait dit le colonel, la confiance n’y était plus.

L’ancien officier d’ordonnance de l’Empereur se dirigea vers le Ministère