Après lui avoir raconté brièvement les péripéties de son voyage, il terminait ainsi :
« Ma Valentine, tu as été ma compagne bien-aimée, mon ange gardien, ma consolatrice aux heures difficiles ; sois bénie pour le bonheur que tu m’as donné dans une vie déjà longue ; un secret pressentiment me pousse à te l’écrire ce soir. Si le dernier jour de cette vie est près de sonner, laisse-moi te redire encore une fois mon dernier vœu :
« Élève notre Georges dans le culte de l’honneur, de cet honneur militaire qui est la devise des Cardignac ; surmonte tes angoisses maternelles et laisse se développer librement en lui la vocation si marquée qu’il montre pour notre carrière. Car, tu peux m’en croire, à l’heure où peut-être je termine la mienne, à l’heure où, comme le voyageur au bout de sa course, je jette un coup d’œil sur le chemin parcouru, je n’en vois pas qui soit aussi belle, aussi digne de tenter un noble cœur.
« S’il veut te quitter, emporté par l’élan de son âme, par sa fière jeunesse, par son amour instinctif du danger, sacrifie-toi une fois de plus ; laisse-le venir à moi. Je serai fier de lui en le voyant arriver, et dans sa tombe son grand-père, le petit tambour de Valmy, tressaillira en se reconnaissant dans notre Georges !
« Adieu, ma bien-aimée compagne ; que Dieu, qui peut-être m’attend, te donne le courage et nous réunisse un jour ! Mes plus tendres baisers pour notre Georges et pour toi. »
« Saint-Privat, 17 août 1870. »
Comme s’il se fût soulagé en écrivant cette lettre qui était presque un adieu, Jean Cardignac s’endormit profondément.
Ses pressentiments ne le trompaient pas ; mais ce qu’ils ne lui disaient point, c’est que son Georges, arrivé à Metz la veille par un des derniers trains circulant encore entre cette ville et Verdun, parcourait à cette heure la ville et les camps, cherchant son père avec une ardeur fiévreuse.
Il semblait que, poussé par une instinctive divination, cet enfant qui commençait la troisième génération de notre Famille de soldats eût senti que l’heure était venue pour lui de donner à l’armée un nouveau Cardignac, en remplacement de celui qui allait mourir !