Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/441

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se leva sur son séant pour regarder et se mit à battre des mains ; puis j’entendis la voix du Maréchal passant derrière les lignes : « C’est bien, mes enfants, maintenant, ménagez vos cartouches pour tout à l’heure. »

— Oh ! oui, Monsieur l’abbé, s’écria Mahurec, oui, vous l’avez entendu comme moi. — C’est un vrai brave, celui-là !

Il y eut un silence, puis l’abbé étendit le bras plus à droite :

— J’ai bien cru à ce moment-là que les Prussiens n’arriveraient pas à enlever notre position, poursuivit-il, mais ils étaient trop et pendant que nous faisions face par ici, des régiments et encore des régiments nous tournaient là-bas, par Auboué, Montois, Roncourt. On voyait leurs lignes noires gagner, gagner sur notre flanc comme une inondation ; puis vers sept heures et demie les obus sont arrivés de par là, enfilant nos lignes… ça a été le commencement de la fin… Tenez… nous sommes arrivés… voilà ce qui reste de Saint-Privat !

Le malheureux village en effet n’avait plus une maison debout, l’église seule avait résisté ; des pans de murs calcinés se dressaient, lamentables au milieu de décombres fumants ; les rues étaient obstruées par mille débris et les fourgons du convoi qui devaient aller plus loin à Roncourt, se mirent en devoir de contourner le village.

— L’artillerie était là sur ce mamelon, dit le prêtre.

— Vite, Monsieur l’aumônier, allons-y, fit Georges ; et son trouble était tel, en arrivant au terme de ce lugubre pèlerinage, que ses dents claquaient ; il semblait en proie à une fièvre ardente.

Soudain le prêtre s’arrêta… À quelque distance, un groupe de brancardiers allemands venait de passer, se dirigeant vers l’église ; sur les brancards, l’aumônier distingua des dorures, des épaulettes.

— Mon enfant, dit-il, vous allez m’attendre ici ; les Allemands transportent, je crois, dans l’église, les officiers qu’ils ramassent… je vais jeter un coup d’œil et je reviens.

Les quelques minutes pendant lesquelles Georges attendit, lui parurent interminables. Quand le prêtre reparut, l’enfant n’eut qu’à le regarder pour comprendre et jeta un cri déchirant…

— Vous l’avez vu ?

— Armez-vous de courage, mon enfant.

— Oh ! mon Dieu ! mon Dieu !… est-ce possible ?… Alors, il est là ? fit Georges en sanglotant.