Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/446

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d’honneur, relique arrosée de son sang et qu’il allait emporter ; il ôta de son propre cou la médaille d’or qu’il portait depuis le jour de son baptême et sur laquelle était gravé le nom de Cardignac ; pieusement, avec des attentions infinies, il la passa au cou de son père ; puis, étendant le bras :

— Père, dit-il d’une voix grave, je te jure de te venger !

Il déposa alors un long et dernier baiser sur le front du mort et se releva, le regard décidé :

— Monsieur l’aumônier, dit-il, permettez-moi de vous adresser une prière.

— Elle est exaucée d’avance, mon pauvre enfant !

— Ce que je viens de faire, c’est pour le reconnaître[1] plus tard, quand nous viendrons le rechercher avec mère !… Voulez-vous regarder où ils vont le mettre et remarquer l’endroit ? L’abbé d’Ormesson eut un geste triste d’assentiment, et le jeune homme poursuivit :

— Moi, je pars de suite ; je vais à l’armée de Mac-Mahon ; il est encore temps de passer et je ne veux pas perdre une heure… Adieu, Monsieur l’aumônier, adieu, mon bon Mahurec !

— Monsieur Georges, est-ce possible ? vous partez comme ça,… fit le vieux sous-officier, la figure bouleversée.

— Oui, Mahurec, si père pouvait encore parler, c’est le vœu qu’il formerait, j’en suis sûr, je le sais et je lui obéis.

— Mais, Monsieur Georges, si vous restiez ici, à l’armée du Rhin, si vous vous engagiez dans ma batterie, par exemple, vous ne seriez pas tout seul, et je pourrais peut-être…

— Non, fit vivement le jeune homme ; ici c’est fini, les Prussiens vont vous enfermer tout à fait, et moi je ne veux pas être prisonnier ; je m’en vais remonter du côté de Thionville et je trouverai bien moyen de regagner Châlons. Là, je rejoindrai Pierre Bertigny que vous connaissez bien et qui me conseillera. Après, à la grâce de Dieu !…

— Vous avez raison, mon enfant, dit le prêtre ; lui seul est le maître, le maître des nations et des hommes ! L’enfant avait eu, à cette heure de suprême inspiration, la vision prophé-

  1. Les officiers et les soldats n’avaient pas alors au cou la plaque inoxydable qui permet de reconnaître leur identité sur les champs de bataille.