Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/48

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Alors Lakdar intervint :

— Je suis chargé de vous : je veillerai à ce que vous ne soyez pas malheureux, mais pas de résistance ! Du reste, Mokran-ben-Abdallah, qui est chaouch du Dey Hussein, a l’ordre de vous tuer à la moindre rébellion.

Et, à mi-voix, il ajouta :

— Il est féroce ; attention à vous !… Et puis il n’a pas les mêmes raisons que moi de vous protéger.

— Merci, Lakdar, fit Henri sur le même ton. Je vois que tu n’as pas oublié tes anciens frères d’armes.

— Dieu est juste ! murmura l’Arabe. Tu dis vrai… je me souviens.

Puis, comme s’il eût été gêné par ces sentiments contradictoires qui lui remuaient l’âme, il fronça les sourcils, fit demi-tour et sortit.

— Allons ! dit de Nessy ; au moins nous avons un allié dans l’un de nos gardiens !

— Je commence à croire que tout n’est pas perdu, ajouta le commandant d’Assigny, puisque nous sommes encore en vie.

Les prisonniers commencèrent leur installation, et, pour être juste, il faut dire que, s’ils n’eussent été en proie à l’anxiété continue provenant de l’absence de nouvelles, ils eussent trouvé, grâce à Lakdar, leur captivité supportable.

Celui-ci veillait à ce que leur nourriture fût suffisante ; il leur fournit même du tabac, du café, et — chose plus précieuse — quelques médicaments primitifs qui permirent d’amener une amélioration notable dans l’état des deux blessés.

De plus, il s’était partagé les heures de garde avec le chaouch, et, dès le troisième jour, après quelques hésitations, il se décida à entrer en conversation suivie avec ses prisonniers.

Il venait de redire qu’il avait servi le Sultan El-Kébir, lorsque Cardignac lui demanda :

— Alors, tu l’aimais bien, l’Empereur Napoléon ?

— Si je l’aimais ! presque autant que j’aime le Prophète ; autant que tous ses soldats l’aimaient ;… autant que tu sembles l’aimer toi-même…

— Oh ! pour ça, ce n’est pas possible ! répondit Henri en se redressant.

— Et pourquoi ?

— Pourquoi !… Parce que je suis son filleul !