Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/106

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« Maintenant, conclut-il, tout est finit. C’est réglé ! Il n’y a que deux hypothèses plausibles : nous rendre à merci, et ça !… jamais ! ou bien essayer de reformer les troupes et de tenter de passer sur le ventre aux Prussiens ! Mais… le fera-t-on ? Ah ! si l’Empereur le voulait,… quitte à nous faire tous tuer !

… Une frénésie, une révolte insensée vibraient dans ses paroles ; mais — comme une réponse fatale — le drapeau blanc, le drapeau parlementaire apparut ! On venait de le hisser sur le donjon ! Pierre et moi nous devînmes tout pâles.

Alors, le regard égaré, Pierre me saisit par le poignet, m’entraîna dans une ruelle et me dit d’une voix saccadée :

— Oh ! non !… Non ! Je ne veux pas !… Je ne veux pas voir ça !

Deux larmes roulèrent sur la poussière de ses joues ; il appuya son front à la muraille, en sanglotant !

Quand il se redressa, il ne pleurait plus ; son regard était devenu d’une dureté extraordinaire.

— Georges, me dit-il, adieu ! Tu n’es pas encore soldat,… tant mieux ! Procure-toi des vêtements civils : tu échapperas ainsi à l’infamie de la reddition ! Au moins ton père et ta pauvre mère te reverront.

— Mon père ! m’écriai-je… Mais, Pierre !… il est mort !

— Hein ?

— Oui,… à Saint-Privat !

Dans la houle de sensations violentes qui nous soulevait, ma pensée, toute aux faits de la journée, s’était hypnotisée sur eux ! Je n’avais (est-ce bizarre !) pas encore songé à raconter l’abominable et glorieux malheur à mon cousin.

Avec quelle douleur il l’apprit, tu le devines, chère mère ; mais il n’en insista pas moins pour que je quittasse ma tenue.

— Pierre ! dis-je, j’ai juré, et ce n’est pas, tu le sais, dans les traditions d’un Cardignac de trahir son serment !

— Sans doute !… Mais.

— N’insiste pas, Pierre ! Si je ne suis pas encore officiellement soldat, je le suis de fait ; je le suis de par ma ferme volonté, de par mon serment !

Et puisque, tout soldat que je suis, je suis encore libre, je reste avec toi !… Je te suivrai ! Tu es mon chef ! Où tu iras, j’irai !