Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/111

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En fait, il les avait entraînés sur la gauche et me rattrapa ensuite d’une allure de vertige.

— Marche ! marche !. Aie du sang-froid, me crie-t-il. Mais une coupe de bois très embarrassée nous force à ralentir un court instant, et les hussards en profitent. Ils nous regagnent le terrain que Pierre leur a fait perdre et poussent déjà des hourras forcenés.

Le sous-officier allemand, mieux monté sans doute, prend de l’avance, et je vois encore Pierre saisir son revolver, allonger le bras et tirer.

Pan !… la balle atteint le cheval du Prussien — dans le cou sans doute — car il pointe, s’enlève sous la douleur et s’arrête ! Mais les autres arrivent !

Pour comble de malheur, ils réussissent à tourner mon cousin, qui est forcé de se rejeter sur sa gauche.

Il me crie :

— Ne t’occupe pas de moi !… nous nous retrouverons. File toujours jusqu’à ce que ton cheval tombe !

Puis un groupe d’arbres le masque à ma vue !… Je ne l’ai plus revu !

Il m’était impossible de connaître la direction dans laquelle l’avait jeté la poursuite ; je ne pouvais donc pas essayer de me tenir en communication avec lui.

Au surplus, j’avais à mes trousses trois gros diables de hussards dont les mecklembourgeois faisaient, eux aussi, du chemin ; et à quelques centaines de mètres, je sentis que mon cheval faiblissait.

Pauvre bête !… Cela n’avait rien d’étonnant, après le surmenage des jours précédents et la charge de la veille ! Il y avait trois jours peut-être qu’il n’avait pas été dessellé !… Et puis je n’avais pas d’éperons… ce qui, dans ces circonstances extrêmes, constitue une infériorité immense.

Tout à coup, ma monture glissa sur un plan de terrain glaiseux, tomba sur les genoux, et la secousse me jeta sur le sol !… Je me relevai en un quart de seconde, car le sang-froid ne m’avait pas abandonné ; par une chance providentielle, je n’étais pas blessé.

Déjà mon cheval s’était relevé, lui aussi ! Délesté de mon poids, une nouvelle poussée de vigueur l’emportait vers les bois dans un galop échevelé !… Je me jetai dans un fourré, et empoigné d’une rage subite, je pris