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lieutenant, et les deux gamines étaient littéralement émerveillées du joli galon d’or, soutaché à la Hongroise, qui courait en astragale sur la manche de l’officier.

Par exemple le digne Barka leur fit un peu peur, avec sa face de bronze ; et comme il voulut être aimable et découvrit dans un sourire ses dents blanches comme celles d’un loup, les deux petites se reculèrent instinctivement vers leur mère.

Un gracieux :

« Ti lé deux bien gentilles mam’zelles ! » du grand Arabe n’eut qu’un succès relatif auprès des fillettes, et ce fut avec un soupir de soulagement qu’elles virent disparaître Barka, que la bonne emmena jusqu’à la cuisine.

Peu après, le déjeuner servi rassembla tous les convives autour de la table, et ce fut là que Georges Cardignac fut présenté à Paul Augier.

L’histoire du jeune franc-tireur empoigna — c’est le mot — le jeune sous-lieutenant de turcos.

Pendant le récit des prouesses de Georges, récit énoncé pourtant avec simplicité par l’oncle Ilenri, Paul Augier ne quitta pas des yeux le jeune soldat, et quand il eut tout entendu :

— Ah ! madame, dit-il, après un silence et en s’adressant plus spécialement à Mme Cardignac, ah ! madame, que vous devez être fière d’avoir un fils comme ce jeune homme !

— Hélas !… Oui, lieutenant ; mais…

— Je sais, reprit en souriant Paul Augier. Je sais ! Un cœur de Française se double fatalement d’un cœur de mère. Mais, madame, à vous qui êtes femme d’officier, qui faites partie d’une famille héroïque, permettez-moi de dire respectueusement : « Plus votre cœur saigne du sacrifice consenti, plus vous êtes grande ! »

Il s’arrêta. Une émotion fit tressaillir son jeune et énergique visage.

— Oui ! reprit-il, les femmes sont grandes parfois. J’en connais une autre que vous, madame ; une autre que je veux aussi glorifier. Celle-là,… c’est ma mère !

Et sur les questions qui jaillirent, Paul Augier raconta sa propre histoire.

Il appartenait à une riche famille parisienne et habitait, au moment de la déclaration de la guerre, avec sa mère et son frère André.