Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/172

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voir, dans la carrière des armes, le brillant des uniformes et le reflet des victoires d’autrefois.

Il avait entendu dire autour de lui que tous les Français allaient travailler en silence au relèvement de leur pays, que l’armée nouvelle allait avoir une mission réparatrice, que l’officier d’aujourd’hui devait désormais consacrer au travail le temps que l’officier de jadis consacrait au plaisir ; et avec plus de force encore, il avait répété : « Je serai officier. »

Son père eût préféré qu’il fit son droit et entrât dans la magistrature ; il n’avait pas essayé cependant de contrecarrer cette vocation, depuis si longtemps manifestée. Le jeune homme entrait à Saint-Cyr dans les cent premiers ; l’essentiel était d’ailleurs d’y entrer, et il allait travailler ferme pour gagner des places.

Puis, qui sait ? on parlait tout bas d’une nouvelle guerre possible entre la France et l’Allemagne : cette dernière puissance, effrayée de voir la vaincue de 70 réparer si rapidement ses forces, lui avait cherché, cette année même, « une querelle d’Allemand », espérant l’écraser cette fois tout à fait. Peut-être les Saint-Cyriens, entrés à l’École en 1875, n’auraient-ils pas le temps de faire leurs deux ans. Quelle chance s’il pouvait en être ainsi ! Car ça ne marcherait plus comme en 1870 !

Mais lorsque Andrit en fut là de ses confidences, Georges hocha la tête : il avait entendu parler, lui aussi, par un ami de sa mère, de cette éventualité de guerre ; et ce dernier, bien placé pour savoir, avait ajouté que les autres puissances étaient décidées à ne pas laisser « achever » la France, et que la Russie, en particulier, venait d’intervenir pour empêcher l’Allemagne de tirer l’épée du fourreau.

— Tant pis ! fit le petit Saint-Cyrien.

— Ne dis pas tant pis, répondit vivement Georges : il faut plus de temps que cela pour refaire une armée, et si tu avais vu. Mais une voix impérative et déjà bien connue se fit entendre à quelques pas : le capitaine Manitrez venait d’apparaître sur le seuil du cabinet de service.

Il fit quelques pas vers les deux jeunes gens qui, rectifiant immédiatement la position, se figèrent dans une immobilité absolue, les talons sur la même ligne et la main au képi.

— Vous êtes en faute, Cardignac, gravement en faute, dit le capitaine.