Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/207

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— Allons, reprit doucement le lieutenant-colonel Bertigny. Je vois que tu as besoin d’une détente ; tu es un peu comme le jeune chevalier de notre vieille France qui, à la veille de recevoir l’accolade et l’épée, passait la nuit dans la prière et le recueillement. Ce pèlerinage sur les grands champs de bataille de 70, c’était ta veillée des armes à toi. Eh bien ! calme-toi, je vais t’indiquer le moyen de le faire sans risques, et tu verras quelles impressions fortes et grandioses tu en rapporteras.

— Que voulez-vous dire ?

— As-tu entendu parler de la cérémonie qui chaque année, au 16 août, se célèbre à Mars-la-Tour ?

— Non.

— Tu sais que ce jour-là fut une victoire pour nous, une victoire aussi funeste qu’une défaite, parce que l’inertie d’un chef indigne la rendit inféconde ; mais une victoire quand même parce que la bravoure des nôtres y resplendit comme aux plus beaux jours de nos guerres passées.

— Je le sais ; mon père arriva à Metz juste à temps pour prendre part à cette bataille de Rezonville.

— Eh bien, ce jour-là, Georges, la Lorraine annexée et la Lorraine française se donnent la main par-dessus la frontière. De Metz, de Nancy, de tous les villages de Meurthe-et-Moselle et de beaucoup plus loin même, accourent des foules émues, attristées de douloureux souvenirs, mais vibrantes d’enthousiasme. J’y suis allé, il y a deux ans ; un grand évêque y parlait dans le silence de vingt mille âmes recueillies, et j’ai pleuré, moi, qui ne pleure guère. Va là, mon Georges : c’est là que devraient aller chaque année les oublieux et les sceptiques ; mais c’est là aussi que doivent se retrouver les croyants !


Quelques jours après, Georges Cardignac débarquait à la petite station de Mars-la-Tour. Il arborait pour la première fois sa tenue d’officier.

La première figure qu’il aperçut sur le quai, fut celle de son camarade Zahner, son futur camarade du 1er  régiment d’infanterie de marine. Il arrivait de Nancy avec un autre Saint-Cyrien, également de leur promotion, le grand Rollet, de Thiaucourt, un gai compagnon dont toute l’ambition était une place dans un régiment de l’Est, fût-il dans un des forts de la Meuse.

Les trois jeunes gens se serrèrent la main avec effusion.