Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/212

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Augusta et Empereur-François, pour l’assaut de Saint-Privat : mais au milieu des champs un monument surgit, une tour entourée d’aigles et surmontée d’une hampe de drapeau : c’était le monument de la Garde, élevé par le vieil Empereur allemand à ses soldats morts, car là s’était creusé leur tombeau. Arrivé au pied d’un mamelon, le vétéran s’arrêta, regarda autour de lui, s’orienta.

— La batterie était ici, dit-il,… et au bout de quelques instants, il ajouta :

— Le colonel était là pendant l’action.

Il fit quelques pas sur la droite, monta vers la crête, s’arrêta encore. Georges haletant le suivait.

Près de la crête, le vieil officier s’arrêta, fit face à Roncourt, dont le clocher s’estompait dans le crépuscule, et dit :

C’est là qu’il est tombé !

Georges fléchit le genou au milieu des blés, s’inclina, et son front toucha le sol, ce sol jadis trempé de tant de sang, aujourd’hui recouvert de la parure luxuriante des moissons, semé de bleuets et de marguerites ; un sanglot souleva sa poitrine, et, la tête dans ses mains, il se mit à prier.


Le lendemain soir, Georges rentrait à Versailles, les traits si fatigués que sa mère en fut effrayée. Avec quelle ferveur elle le serra contre elle lorsqu’il lui eut raconté son douloureux pèlerinage !

Elle songeait d’ailleurs avec effroi que, dans quelques mois, elle allait se retrouver seule, et que ces derniers mois de vacances étaient la préface d’un long abandon. Elle s’effrayait surtout à la pensée que son Georges allait traverser les mers, s’enfoncer dans des contrées sauvages, risquer d’affreuses morts, et elle se reprochait de l’avoir laissé choisir cette arme, sans cesse sur la brèche, qu’est l’infanterie de marine.

Mais Georges, par ses récits et ses enthousiasmes, endormait ses frayeurs : il lui parlait de ses rêves d’avenir, en lui représentant comme large, facile et colorée cette existence coloniale dont il devait connaître bientôt les dures épreuves.

— Qui sait, mère ? disait-il tendrement, peut-être un jour viendras-tu me rejoindre quelque part, au Sénégal ou en Cochinchine ; il y a là-bas de si beaux pays, des terres si fécondes, une si luxuriante végétation !… Que dirais-