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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/221

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— Et c’est à sa compagnie que je vais être ?

— Dame, oui, à la mienne ; que même il vous attend et avait l’air joliment content quand il a su votre nomination au rapport. Je ne serais pas étonné, voyez-vous, que ce soit lui qui ait demandé au colonel à vous avoir.

Alors moi, je lui ai dit :

— Mon capitaine, je ferai tous les trains de la journée, de demain et d’après-demain, s’il le faut, mais faut que ça soit moi qui vous l’amène !

— Alors, tu as monté la garde à la gare ?

— Depuis hier ; oui mon lieutenant, et y a pas plus content que moi, puisque vous voilà.

— Ah ! mon brave Parasol, quelle bonne surprise ; mais dis-moi… et les colonies, quand y partons-nous ?

— Oh ! bientôt, mon lieutenant, je crois bien, car il paraît qu’il y a du déchet dans les cadres. D’habitude, on part au bout de deux ans ; dix-huit mois ; mais maintenant je ne serais pas plus étonné que ça si nous filions dans un an.

— Tant mieux, s’écria Zahner : alors nous allons nous installer à Cherbourg en camp volant, car ce n’est pas pour moisir dans un port de guerre, dis, Cardignac, que nous avons demandé les marsouins.

— Et puis vous savez, mon lieutenant, interrompit Pépin qui avait repris toute sa loquacité, mais qui, en acquérant les galons d’or, avait perdu un peu de son argot faubourien, ça n’est pas drôle ici ; les marins nous regardent un peu comme des mécréants. Pour ces messieurs, un habitant du « plancher des vaches » c’est rien du tout. Les fantassins de l’armée de terre, eux, n’ont pas les mêmes raisons de se gober, et pourtant ça ne les empêche pas de penser la même chose… Alors notre vraie place, voyez-vous, c’est de l’autre côté de l’eau, au soleil, avec les moricauds et les Célestes, qui, eux, sont payés pour savoir que nous valons quelque chose.

Et peut-être le sergent Pépin eût-il plus longuement développé cette idée, d’ailleurs très vraie à l’époque où elle était exprimée, il y a vingt-deux ans, que l’infanterie de marine était une arme dépréciée, lorsqu’un sous-lieutenant du 1er régiment apparut à l’entrée d’une salle d’attente, et, apercevant les nouveaux venus, se dirigea vers eux.

C’était Bertin, l’ancien de Georges et de Zahner, qui venait, suivant en