Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/241

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laisser une partie des passagers sur le pont, exposée aux intempéries et aux coups de mer.

Ce ne fut pas le cas pour les « marsouins » qui s’embarquèrent ce jour-là : deux compagnies seulement, soit trois cent cinquante hommes, prirent place sur le Stamboul. Le hasard n’avait pas voulu séparer Zahner de Georges : c’était sa compagnie qui partait avec celle du capitaine Cassaigne ; elle était commandée par un capitaine déjà âgé, sombre et peu communicatif, nommé Brémont.

— Monsieur Cardignac ! appela un premier-maître, lorsque les deux compagnies au complet, furent à bord.

— C’est moi ! fit notre ami.

— Le commandant vous demande sur la passerelle.

Très intrigué, Georges grimpa lestement l’étroit escalier qui conduisait au réduit d’où, la jumelle à la main, le commandant et l’officier de quart embrassent, en même temps que le vaste horizon, toute la surface du bâtiment.

Le commandant Lota, du Stamboul, était un Corse, à la figure franche et énergique, hâlée par les embruns, éclairée de deux yeux noirs et expressifs, ombragés par des sourcils épais ; il tendit la main à Georges :

— Vous êtes le fils du colonel Cardignac ?

— Oui, commandant !

— Alors, cette dépêche vous concerne. Voyez. Et Georges lut le télégramme que voici :


« J’apprends au ministère Marine, que fils de mon vieil ami colonel Cardignac, mort à l’ennemi en 1870, embarque avec vous 28 janvier, pour Sénégal. Vous serais reconnaissant, l’accueillir comme moi-même et lui faciliter traversée.

« Amiral de Nessy. »


Ainsi, partout, le souvenir de son père, le nom de cette famille de soldats, planaient au-dessus de Georges Cardignac, le guidant, l’aidant, le conseillant ; et vous reconnaîtrez, mes enfants, une des beautés de la vie militaire, dans cette solidarité durable, qui résiste au temps et qui se transmet sans altération d’une génération à l’autre.