Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/301

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lancé cette phrase sans réfléchir, sous le coup d’une impulsion tout instinctive ; et en même temps qu’il l’articulait, Lucie s’était redressée. Elle tourna vers l’officier ses prunelles dilatées… fixa péniblement son regard.

Elle semblait chercher dans le lointain de ses souvenirs. Mais comment eût-elle pu deviner dans ce jeune officier au visage déjà bronzé, à la moustache noire, le petit franc-tireur blessé, qui avait éveillé jadis dans son âme d’enfant une pitié si admirative ?

— Georges Cardignac !… Dijon ! vous souvient-il ?

Il avait parlé à mi-voix, penché vers elle, très ému.

Une lueur passa dans les yeux dilatés de la malade : oui, elle se souvenait, et soulevant avec peine sa main amaigrie, elle la tendit au jeune homme !

Mais l’effort qu’elle venait de faire avait excédé ses forces, et sa tête retomba sur l’oreiller.

— Oh ! mon Dieu ! fit Georges, je n’aurais pas dû lui parler,… qu’ai-je fait ?

— Une imprudence, en effet, dit le docteur, car les émotions ne lui valent rien, du moins en ce moment… Je vais être obligé de vous consigner à la porte, mon jeune camarade.

Mais la malade avait compris ces derniers mots, malgré son épuisement ; car ses yeux se rouvrirent un instant, et le docteur n’eut pas de peine à lire dans le regard tourné sur lui un reproche à son adresse.

— Diable, fit-il en souriant, il paraît que ma menace produit autant d’effet sur elle que sur vous ; je ne m’en plains pas, car cela me prouve qu’elle est moins bas que je ne le croyais.

Il eut été bien difficile d’ailleurs au médecin de tenir rigoureusement la main à l’observation de sa consigne, car, ce jour-là et les jours suivants, Georges profita de toutes ses heures libres pour s’instituer le gardien de la jeune fille.

Une immense sympathie s’était éveillée en lui, dont il n’était plus le maître. Pouvant disposer de la plus grande partie de la journée, puisque son camarade Flandin s’occupait de l’organisation de la troupe noire qui devait renforcer la colonne, il était sans cesse ramené vers cette paillote où souffrait Lucie. Il y entrait avec des précautions infinies, et quand, le troisième jour, la fièvre céda devant la médication énergique du docteur, il