Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/309

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ou partir avec l’ancienne affection ? Ce fut cette dernière qui l’emporta ; Baba avait suivi Pépin. Mais ce n’était plus le Baba de Cherbourg : un pagne blanc replié lui faisait une culotte à la zouave, il portait un gilet arabe, don de Pépin, et, de l’uniforme, il n’avait gardé que le képi, additionné d’un mouchoir en guise de couvre-nuque. De plus, il portait au bout d’un bambou, un pavillon aux trois couleurs.

Et l’enfant, torse et pieds nus, marchait crânement dans la brousse, sans que ni cailloux ni épines pussent réussir à entamer la semelle de corne naturelle qu’il possédait sous ses énormes pieds.

Or, comme on approchait de Kineira, dont on apercevait au loin le dôme des cases au-dessus d’un fort groupe de palmiers nains, un bruit étrange s’éleva, sortant justement du bois formé par les dits palmiers.

— Halte ! commanda Cardignac.

En même temps, il donnait rapidement ses ordres, et tout son monde se déployant prit, dans les hautes herbes, la position du combat.

Ce fut fait avec une précision et une rapidité extrêmes. Une section de Saint-Cyriens n’eût pas mieux manœuvré que les marsouins de Cardignac.

Quant à lui-même, placé à cheval en arrière de sa ligne et dressé sur ses étriers, il sondait l’horizon de sa lorgnette. Près de lui, un caporal, le doigt sur la détente et le canon de son fusil dirigé sur le messager nègre, ne perdait pas ce dernier de vue. Mais l’ambassadeur de Ben-Ahmed ne bronchait pas. Au contraire, il découvrait dans un large sourire ses dents d’émail, et il baragouinait dans son jargon des phrases incompréhensibles pour Cardignac, mais évidemment joyeuses.

Soudain, une troupe bariolée émergea du bois de palmiers, et le bruit s’accentua, ponctué de coups de tam-tam, de chants et de la sourde trépidation des tambourins.

— Attention ! ordonna Cardignac, non sans une légère émotion. Attention ! et surtout que personne ne tire sans mon commandement.

Mais le messager s’agitait. Du doigt il indiquait en tête du groupe qui s’avançait un noir d’assez grande taille, vêtu de bleu, coiffé de rouge et portant un burnous rayé. Il chevauchait un cheval blanc, couvert d’oripeaux bizarres. Deux nègres, montés sur des ânes, le flanquaient à droite et à gauche, maintenant un large parasol au-dessus du cavalier. Évidemment, c’était là un grand chef, et le messager se mit à hurler son nom.