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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/326

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À peine la contraction des maxillaires disait-elle l’effort puissant que le Russe développait. Et aussi, par instants, un soupir plus grave s’échappait de sa vaste poitrine.

Calant ses pieds, s’accrochant de la main gauche aux aspérités rocheuses ou aux branches, Mohiloff montait lentement mais sans arrêt.

En bas, Georges et ses hommes suivaient avec angoisse ce miracle d’effort, de force et de volonté tenaces, et soudain ils poussèrent tous un cri terrible !


Une branche sèche, à laquelle Mohiloff avait cru pouvoir trouver un appui venait d’éclater sous ses doigts !…


Il y eut une seconde — que dis-je ! un dixième de seconde horriblement douloureux !

Sous la secousse, le jeune Russe avait en effet fléchi !… Son corps eut une oscillation, et le canon pencha terriblement en arrière ; mais il se rattrapa de la main gauche à une branche solide ; puis, de son poing droit, crispé sur la pièce de canon, Mohiloff redressa le lourd cylindre d’acier ; ses reins de taureau se raidirent. D’une secousse il s’arc-bouta sur les jarrets, et, tournant légèrement sa face où, néanmoins, perlaient de larges gouttes de sueur, il dit paisiblement :

— Ce n’est rien ! mon lieutenant !… La prochaine fois, j’y ferai attention.

Et il continua sa rude montée, aux acclamations frénétiques de ses camarades !

… Enfin ! le sommet est atteint ! Cuir de Russie et les artilleurs ont gravi à leur tour l’escarpement. La pièce est déposée à terre et, toujours calme, toujours paisible, Mohiloff redescend, se fait charger l’affût sur les épaules et recommence le tour de force prestigieux qu’il vient d’accomplir !

Pour finir c’est le tour des roues ; — et le canon peut être mis en batterie au sommet du rocher.

Mais pendant ce temps, Georges n’est pas resté inactif. Le long de la pente, il a organisé une chaîne pour transborder une à une les charges des caissons.

Vous avez sans doute vu parfois, mes enfants, des maçons ou des couvreurs qui, installés sur de hautes échelles, se passent de l’un à l’autre des