Aller au contenu

Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/329

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Il était là, il n’y a pas une demi-minute, dit Georges ; je l’ai aperçu ! Il tenait toujours son fanion !

— Est-ce qu’il serait tué ? dit le sergent inquiet.

Mais non ! Baba n’avait pas une égratignure, et, trouvant dans un coin un escalier en échelle, le gamin l’avait gravi jusqu’à une plate-forme, et il venait de planter nos trois couleurs sur le tata, définitivement conquis. Du dehors, on l’acclamait ferme !

Georges et Pépin sortirent, et, joignant leurs bravos à ceux des hommes de la colonne, se dirigèrent en hâte vers la case de M. Ramblot, située au fond de la cour, en arrière du fort.

Mais en arrivant près de la muraille, ils éprouvèrent une angoisse atroce ; car ces appels leur parvenaient de l’intérieur :

— À moi ! À moi !… Ah ! brigand !… Si j’avais encore des cartouches !… À moi !

— Bon sang ! hurla Pépin. Un outil !. une pioche !… quelque chose pour démolir la baraque. Ah ! tonnerre de Lorient !

Il cherchait l’outil en question ; mais, ne trouvant rien, il saisit à deux mains son fusil par le canon et se mit à taper comme un furieux, dans la muraille.

La crosse cassa net ; toutefois le sergent continua son ouvrage avec le tronçon du fusil qui lui restait : la muraille tenait bon ! Heureusement Baba qui venait de redescendre arriva, porteur d’un pic ; des marsouins le rejoignirent avec des outils, et, deux minutes plus tard le mur de la case s’effondrait.

D’un seul bond, tous franchirent les décombres et un spectacle atroce leur apparut !

À terre se roulaient deux hommes, si étroitement enlacés qu’ils semblaient ne faire qu’un seul et même être vivant.

C’étaient M. Ramblot et un nègre à face féroce, que ses tatouages, ses ornements de coquillages et la peau de léopard qui le couvrait indiquaient comme un griot. Les deux hommes ne criaient pas ; mais un souffle rugissant râlait dans leurs deux poitrines, au cours de cette lutte pour la vie.

Les poings de M. Ramblot enserraient les poignets du griot, écartant le coutelas à dents de scie dont le nègre avait pourtant réussi à lui porter un coup sur le sommet de la tête.