Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/342

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essaya de faire comprendre à l’ancien tirailleur que son intérêt immédiat l’obligeait, lui aussi, à quitter sans retard Kineira, à franchir le Niger avec tout son peuple et à venir se mettre sous la protection directe des postes français.

Mais le turco se récria : abandonner ce village que ses captifs avaient construit, ces plantations de bananes et d’arachides si prospères, ce royaume enfin que les sofas voisins lui enviaient ! C’était d’abord un coup terrible pour son prestige, ensuite une perte sèche considérable.

Mais alors M. d’Anthonay intervint.

— Barka, dit-il, c’est à toi que nous devons d’avoir pu retrouver et délivrer M. Ramblot ; il n’est pas juste que tu aies perdu ton royaume sans compensation ; je t’offre donc la rançon que j’avais préparée pour sa délivrance et qui, grâce à ton aide, est devenue inutile : elle est de 30.000 francs ; ils sont là dans ma tente et t’appartiennent.

Le visage de l’ancien tirailleur exprima soudain la plus profonde stupeur et ses yeux semblèrent jaillir hors de leurs orbites.

— 30.000 francs, fit-il ; quis qui ci pour les douros ?

— Combien 30.000 francs représentent-ils de douros ? traduisit le capitaine Cassaigne : cela fait 6.000 douros, Barka.

— 6.000 douros !

Et en répétant ce chiffre qui lui représentait un amas de pièces de cinq francs tel qu’il n’en avait jamais vu, même en rêve, le « téraïour » était comique d’expression. Avec une mobilité dont le caractère du nègre offre de si fréquents exemples, il passa de rechef à la joie la plus intense : avec 6.000 douros et la concession de territoire que ne manquerait pas de lui faire le gouvernement français, il allait être le potentat le plus fortuné du Soudan. L’exode de tous ses sujets ne le préoccupait nullement ; c’était l’habitude de ces peuples de se transporter d’une patrie dévastée dans une région inconnue, et Samory lui en avait donné l’exemple en poussant devant lui, de l’autre côté du Baoulé, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ; de plus, Barka avait ainsi l’inappréciable avantage de n’être plus le voisin immédiat de l’Almany, toujours tenté par les richesses de ses vassaux, et tout à la satisfaction de la nouvelle destinée qui s’ouvrait devant lui, le roi Ben-Ahmed serra vigoureusement la main de M. d’Anthonay.

Puis il jeta à droite et à gauche quelques phrases brèves pour transformer et mettre à l’unisson des siens les sentiments de ses sujets. En quelques