Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/356

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fut embarquée sur la flottille pour remonter le fleuve Rouge ; l’autre, sous les ordres du colonel Belin, suivit la voie de terre.

Or, le matin même du départ, Georges Cardignac avait reçu un ordre l’affectant, pendant toute la durée de l’expédition, à la compagnie de « tirailleurs annamites » commandée par le capitaine Doucet, dont le lieutenant était mort quelques jours auparavant, d’une attaque de dysenterie aiguë.

Il devait rejoindre son nouveau poste le jour même, autorisé seulement à emmener avec lui son soldat ordonnance.

Cette nouvelle contraria Georges Cardignac ; non qu’il regrettât sa compagnie, car il ne connaissait pas encore ses nouveaux « marsouins » — comme il arrive souvent aux colonies, où les officiers changent fréquemment de compagnie — mais parce qu’il avait une assez pitoyable idée de ces soldats indigènes, recrutés en Cochinchine, et qu’il n’avait jamais vus a l’œuvre.

Il est de fait que, si on les jugeait seulement sur leur extérieur, on n’était guère favorablement impressionné. Quelle différence, aux yeux de Georges surtout, entre les Soudanais aux muscles noirs et vigoureux qu’il venait de quitter, et ces ehétifs représentants de la race au teint jaune et aux yeux bridés !

Rien de plus pittoresque, mais aussi rien de moins militaire que l’aspect d’une troupe de tirailleurs annamites.

Petits, maigres et n’ayant pas un poil de barbe, ces irréguliers auxiliaires avaient gardé leur coiffure nationale, c’est-à-dire les cheveux longs, roulés en chignon sur le sommet de la tête et retenus par un peigne d’écaille, aux arêtes montées en argent. Là-dessus, ils portaient un petit chapeau rond, presque plat, fait de bambou verni, et orné, à la mandarine, d’un bouton de cuivre : ils en nouaient les brides rouges sous leur chignon, de sorte que les bouts en pendaient dans le dos, à la façon des : « Suivez-moi, jeune homme », que les Parisiennes ont portés quelque temps. De leur veste bleu marine s’échappait, par devant, l’extrémité d’une large ceinture rouge, et leur pantalon de soie noire, à la mode annamite, ressemblait à une jupe. Au lieu de sac, ils avaient une longue musette, portée en sautoir par-dessus leur couverture roulée.

Leur coiffure, leur visage glabre, leurs membres grêles, leur petite taille, cette ceinture et ce semblant de jupon, tout concourait à les faire ressembler à un bataillon de demoiselles.