Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/368

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Le jeune officier est dans une exaltation croissante. C’est donc à cette divinité sanguinaire que sont offerts ces abominables sacrifices ; la maison dans laquelle le hasard l’a conduit, est une pagode, et il a entendu dire maintes fois que c’est dans leurs pagodes que les Chinois supplicient leurs prisonniers.

Georges Cardignac a besoin de passer sa colère sur quelque chose, et, montant sur le socle qui sert de base au Bouddha assis, les jambes repliées, il lui envoie, à travers la face, un coup de sabre qui fait voler le nez en éclats.

Mais au moment où il va frapper de nouveau, il se sent happé par le bras. Dans l’ombre de la niche, une tête bien vivante, celle-là, éclairée de deux yeux féroces, vient d’émerger soudain ; puis une seconde, derrière elle. Georges Cardignac n’a le temps ni de se défendre, ni de pousser un cri, car un tissu épais s’enroule autour de son cou et l’étrangle à demi ; il se sent entraîné derrière la statue du dieu ; une lueur lui apparaît, c’est une porte secrète qui s’ouvre, et derrière laquelle ses deux agresseurs l’entraînent.

Une affreuse angoisse le traverse : prisonnier ! Il est prisonnier à son tour, et les horribles supplices dont il vient d’avoir sous les yeux le détail horrible, il va les subir lui-même dans un instant. Il lâche son sabre, car il étouffe, et, de ses deux mains crispées, soulevant le bâillon qui lui emprisonne la tête, il pousse un cri, un cri terrible.

Mais il se sent perdu, et à son cri d’angoisse succède un appel que vous connaissez bien, mes enfants, car c’est celui qui monte à vos lèvres dès que vous souffrez d’un mal quelconque ou quand vous avez un gros chagrin :

— Maman !

Hélas ! elle est bien loin pour l’entendre, la pauvre mère !

Mais si elle n’entend pas, un autre a entendu.

Une trombe arrive, s’engouffre dans l’étroite ouverture, et Georges, à demi-étranglé, la sent passer sur lui. Un coup retentit, un coup de massue, frappé sur un crâne, et l’un de ses agresseurs roule à terre en poussant un cri sourd. Quant à l’autre, il est atteint presque en même temps par ce sauveur inattendu. Georges, se relevant, reconnaît Mohiloff. Le géant russe tient le deuxième Chinois à la gorge ; il enferme, dans l’étau de ses deux mains puissantes, le cou du bandit et serre brusquement : la langue sort, les yeux roulent dans leurs orbites, et, sans un mot, Mohiloff jette sa seconde victime sur la première.