Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/37

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ses lèvres avec une intonation bien caractéristique de stupeur, d’angoisse et de joie.

Stupeur… de retrouver si brusquement, de façon aussi inattendue, le disparu dont on redoutait la perte définitive.

Angoisse… de le tenir, blessé, entre ses bras.

Joie, enfin, de le savoir vivant et de penser au bonheur de tous en apprenant cette heureuse nouvelle.

Ce fut même cette dernière impression qui prima les autres ; car, dans un élan, Paul s’écria :

— Oh !… comme ta mère va être heureuse ! et tout le monde aussi !

Et comme cette journée d’émotion l’avait déjà trempé, l’avait rendu plus maître de lui, Paul songea de suite au côté pratique que comportait la situation.

Sans s’attarder à des questions oiseuses en pareil moment :

Où es-tu touché, mon grand Georges ? demanda-t-il.

— Au pied, je crois. Probablement au talon, car j’y ressens maintenant une assez vive douleur.

Paul, accotant doucement son ami contre la muraille, se baissa pour examiner.

— Oui !… c’est vrai !. dit-il, en plein dans ton pauvre talon !… La balle a troué ta chaussure et tu saignes !… Oh ! les brigands !

Il se redressa, l’œil plein de colère, puis avec décision :

— Attends-moi un instant ! dit-il,… et il s’élança dans la rue.

Peu après, il ramenait lui-même une petite charrette à bras pleine de paille, qu’il avait dénichée dans une cour, et dont il avait obtenu l’autorisation de se servir.

Il aida Georges, déjà saisi par un commencement de fièvre, à s’y asseoir, y déposa également les deux chassepots, puis s’attelant aux brancards, il partit à travers la ville, dans la direction de la rue Charrue, sans prendre même attention aux exclamations apitoyées des femmes qui, maintenant que le feu avait presque tout à fait cessé, sortaient timidement sur le pas des portes, et se lamentaient en voyant passer ce singulier convoi, composé d’un enfant qui traînait un autre enfant blessé.

Ce fut pour Paul un chemin rude et triste, au milieu des rues non éclairées, animées pourtant du mouvement grouillant des soldats qui, sur