Aller au contenu

Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/420

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Combien les paye-t-on ?

— Six à sept piastres par mois : vingt-cinq à trente francs, si tu aimes mieux.

— Parfait ! mes moyens me permettent de m’en offrir deux : je te demande seulement de me les procurer, car il me serait bien impossible de les trouver moi-même, et si l’un d’eux parle un peu français, ça ne fera pas de mal.

— Mais où et comment mangeras-tu ?

— Je vais me munir de conserves : je n’aurai ainsi aucune cuisine à faire.

— Et où coucheras-tu ?

— J’achète une tente, parbleu !… Et puis, sois tranquille, je l’apprivoiserai, moi, ton général. Quand je lui aurai offert une petite pochade dans laquelle je l’introduirai en une pose heureusement étudiée, il m’attachera à son état-major. Laisse faire… dans six mois je mettrai sur mes cartes : « Peintre du corps expéditionnaire du Tonkin. » Tous les Orientalistes en crèveront de dépit.

Le soir même, Paul Cousturier, flanqué de deux coolies qu’il ne perdait d’ailleurs pas de vue, car il leur trouvait des faces patibulaires, cheminait derrière les marsouins.

Quand on arriva aux Sept-Pagodes, des nouvelles plus rassurantes arrivèrent du théâtre des opérations. Il y avait eu retraite, il est vrai ; mais il n’y avait pas eu poursuite.

Exténués par les nombreux combats livrés aux environs de Lang-Son pour « donner de l’air » à cette place et refouler les Chinois au-delà de la frontière, les soldats du général de Négrier n’étaient plus que mille, lorsque, le 23, leur chef les avait lancés contre les Célestes qui débordaient de partout.

Mais après avoir enlevé une première, puis une seconde, puis une troisième ligne de retranchements — car les Chinois, je vous l’ai dit, sont de grands remueurs de terre — ils avaient été submergés dans la masse.

Partis neuf cent vingt-cinq, le 22 mars, ils n’étaient plus que cinq cent soixante-quinze le 24. Même avec un Négrier à leur tête, cinq cent soixante-quinze Français ne pouvaient venir à bout d’une armée.

Il avait donc fallu reculer sur Lang-Son. Le général, qui avait fait le coup de feu comme un soldat et n’avait cessé d’étonner les plus braves, avait marché le dernier, à l’arrière-garde, s’assurant que personne ne restait