Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/430

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tableau de la chapelle ardente pendant les six ou sept jours qui nous séparent de Toulon ; c’est à ce titre qu’on m’accepte, et toi par dessus le marché.

— Et Pépin ? et Mohiloff ?

— Ni Pépin, ni Mohiloff ne sont compris dans l’arrangement : on ne peut pas penser à tout ; et puis, tu sais, qui trop embrasse… Mais écoute, il vaut mieux qu’ils prennent l’avance : le Tarn va précéder le Bayard de vingt-quatre heures : inutile donc d’envoyer des dépêches à tous ceux qui nous attendent à Marseille. Pépin et Mohiloff vont faire office de fourriers : ils se trouveront là pour donner les premières nouvelles, narrer notre transbordement et diriger toute la smala sur Toulon ; car c’est une vraie smala que tu vas trouver au débarcadère.

— Tu arranges tout à merveille ; j’ai eu un instant la même idée que toi ; monter sur le Bayard, c’était tentant, mais jamais je n’aurais eu le…

Et comme Georges cherchait son mot :

— Tu veux dire le toupet,… vas-y donc et ne te gêne pas : les artistes ont généralement une certaine dose d’aplomb, et je me sens, en ce moment, avec ce tableau en perspective, artiste jusqu’au bout des ongles.

Quelques heures après cette conversation, un canot conduisait les deux jeunes gens à bord du Bayard ; et lorsqu’ils arrivèrent à la coupée, le sourire disparut de leurs lèvres comme par enchantement.

Car tout sur le pont du vaisseau, invitait au recueillement.

On n’y entendait aucun bruit : tous les marins y étaient en grande tenue, et les officiers du bord, un crêpe à l’épée, portaient le deuil sur leur visage.

Le cercueil avait été déposé sur la dunette, au pied d’un canon de 19 centimètres, et déjà, avant que les Français de France eussent pu envoyer une fleur à leur illustre compatriote, des couronnes, arrivées des colonies les plus lointaines, l’entouraient des regrets unanimes des Français d’outre-mer.

Un vaste pavillon tricolore enveloppait le cercueil, et, devant ce tableau d’une simplicité et d’une grandeur incomparables, Paul Cousturier, profondément ému, se mit à l’œuvre.