Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/447

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Ce n’est pas à Paris qu’un officier subalterne pourrait mettre ça de côté,… encore moins un peintre !…

— Mais tu savais bien pourtant, mère,… voulut objecter Georges Cardignac.

— Je sais bien que tu ne prévoyais guère l’emploi que je viens d’en faire. Tu me les destinais ; tu voulais m’aider, en bon fils que tu es, m’éviter la gêne. De tout mon cœur, je te remercie, mon enfant ; mais la Providence a permis que je n’en eusse plus besoin. Je t’ai laissé continuer tes envois pour te faire la surprise de les retrouver ici ; mais sache que la maison Normand a, depuis quatre ans, repris son rang parmi nos chantiers de constructions maritimes, et son rang, c’est le premier !

— C’est vrai, appuya M. Ramblot ; la France se décide enfin à se refaire une flotte, et il n’est que temps. Avoir une politique coloniale et ne pas posséder la flotte qui correspond à cette politique, c’est entreprendre une marche sans se préoccuper de ses souliers. Nous nous y mettons un peu tardivement, mais enfin il n’est jamais trop tard pour bien faire, et, si nous continuons avec esprit de suite la réfection de notre flotte, l’Angleterre en crèvera de dépit.

— Sans compter, ajouta M. d’Anthonay, que l’apparition des torpilleurs peut révolutionner la guerre maritime et compenser notre infériorité en gros bâtiments. Or ce sont des torpilleurs, et des torpilleurs admirablement établis, que construit la maison Normand : leur réputation est maintenant européenne, et voilà que le Japon lui-même envoie ses commandes au Havre.

— Tu vois donc, mon Georges, reprit Mme Cardignac, que tes économies ont pu être employées ailleurs, et je n’ai pas cru mieux faire, puisque vous aurez largement le nécessaire, que de les dépenser en superflu.

Puis se tournant vers la jeune fille :

— Et maintenant, mon enfant, lui dit-elle, voici l’heure de prononcer les paroles décisives, celles que vous n’avez encore osé dire ni l’un ni l’autre. Depuis plusieurs années, je connaissais les sentiments de Georges pour vous, et le chagrin qui le minait quand il vous croyait perdue pour lui. Cette fidélité du souvenir vous l’avez conservée, vous aussi, et c’est la meilleure garantie de votre bonheur futur… Lucie, c’est à votre intention que j’ai choisi ces bijoux, celui-ci surtout, fit-elle, en montrant la bague… les acceptez-vous ?