Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/50

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Mais à ce moment, les uhlans s’arrêtèrent devant la porte ; leurs trois officiers mirent pied à terre ; ils entrèrent dans la salle ; un silence absolu se fit parmi la tourbe des buveurs, et une scène bizarre et rapide se déroula. Je te la cite ici, chère maman, car elle est typique !

Le plus élevé en grade des uhlans — un capitaine à longue barbe lanca (en allemand bien entendu, mais je traduis) cette phrase d’une voix rude :

— Allons ! Dehors ! vermines ! Et lestement !

Et sans un mot, sans une révolte, rampant presque, devant l’ordre insultant, toute cette racaille sortit, timide et cauteleuse.

Le dernier, un vieux à face en lame de couteau, reçut même sans sourciller un coup de botte aux reins, que le capitaine lui décrocha en s’esclaffant.

Je restai seul, avec les Prussiens.

— Qu’est-ce que vous faites ici, vous ? me demanda en excellent français le capitaine.

Je répondis très calme, quoique un peu nerveux :

— Je suis du pays.

— Ah !…

Il y eut un court silence ; il me considéra d’un œil soupçonneux, puis à brûle-pourpoint :

Verstchen Sie deutsch ? articula-t-il.

Tu penses, chère maman, que je m’attendais à cette tentative de surprise.

Pas assez malin ! pensais-je, et, prenant un air étonné, je dis tranquillement.

— Je ne comprends pas l’allemand.

Mon uhlan n’insista pas, il me tourna le dos, et s’asseyant avec ses lieutenants, il commanda à déjeuner.

Dehors ses hommes mangeaient sur le pouce. Je les apercevais à la fenêtre ; le bras passé dans les rênes, ils s’emplissaient la bouche de larges bouchées de pain, leurs lances aux flammes blanc et noir restaient à l’étrier, accrochées au troussequin de la selle par la courroie, et, le nez dans mon assiette, j’écoutai les trois officiers qui causaient.

— Alors, mon capitaine, on ne sait pas encore où est l’armée française de Châlons ? demanda le plus jeune.

— Pas exactement ; le 24, nos patrouilleurs, arrivant au camp, ont trouvé place nette. Depuis, pas de nouvelles !