Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/61

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mense mac-farlane à carreaux, il portait en sautoir une lorgnette dans son étui et une forte sacoche.

La première impression que je ressentis à examiner son visage, fut une sorte d’inquiétude, presque de la répulsion.

Figure-toi, chère maman, une face à la chair molle, comme bouffie, et, là-dedans planté, un nez fortement busqué ; pratique au-dessous une fente très large pour figurer la bouche, qui s’ouvre en découvrant de longues dents de cheval, jaunes et déchaussées ; là-dessus, colle une moustache rare, d’un blond roux, des favoris en pattes de lapin, et pique en haut deux yeux bleu faïence, d’une nuance indécise et lavée, cachés derrière un lorgnon ; puis, sous les bords du chapeau melon gris, des cheveux longs et plats de couleur plus pâle que la moustache, et faisant l’effet d’une perruque de filasse mal teinte.

Voilà mon bonhomme !…

— Est-ce que vô été hébitante dans le pays… Sir ? me demanda-t-il.

— Pourquoi me demandez-vous ça ? répondis-je.

— C’est que je été perdiou,… égaré. Jé trouvé plous mon route.

— Où allez-vous donc comme ça ?

— Je vôlé gagner Bézeilles, vô savez ! le ville où aujourd’hui lé combat…

— Oui ! je sais. Mais vous ne pourrez pas passer les lignes.

— Aoh ! Yes, s’écria-t-il, en se rengeorgeant. Je passé très bienne ! J’étai lé correspondante de « five » Jornals de la Hangleterre !… et sujet dé Her Gracious Majesty… Personne il povait empêcher le passage ! Dites seulement lé chémin.

Ma foi ! une idée rapide me vint. Cet insulaire, à la fois grotesque et repoussant, pouvait me servir et m’aider à passer, car peut-être était-il accrédité auprès de l’État-Major allemand ; et puis, en guerre, il faut se servir de tout, n’est-ce pas ?

— Eh bien donc ! répondis-je, venez avec moi,… j’y vais justement à Bazeilles !

Et nous voilà en route !


Chemin faisant, mon Anglais se mit à me questionner.

Il s’étonnait de me voir si jeune, marchant la nuit en pleine campagne, et finit par me demander qui j’étais.