Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/65

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Mais, cette fois encore, le nommé Kolwitz intervint en ma faveur, et comme il me couvrit de sa protection en me déclarant encore une fois son secrétaire, le lieutenant renvoya ses hommes et je me dirigeai à la suite des deux personnages vers la maisonnette.

« Cette fois, pensai-je, il n’y a plus à hésiter, il faut en finir ! Cette situation baroque ne peut indéfiniment se prolonger ; car il faudrait, pour m’en tirer, que je me prêtasse à la combinaison du bonhomme. Or, comme ce n’est point mon intention, il est préférable de brusquer les choses. »

Ayant donc affermi ma volonté, je laissai le lieutenant passer le premier ; le journaliste anglais suivit, et, comme c’était mon tour de mettre le pied sur le seuil de la porte, je fis vivement demi-tour et m’enfuis à toute jambe dans la direction du pont de la Meuse !.

… Je ne puis, ma chère maman, te raconter de visu ce qui s’est passé dans la masure,… car je n’y étais plus !… Je n’en parle donc que par déduction.

Ce qui est certain, c’est que ni l’Anglais ni l’officier ne s’attendaient à ce coup-là, et qu’ils durent tout d’abord n’y rien comprendre !…

Dame ! mets-toi à leur place.

Ce n’est qu’au bout de deux ou trois minutes que j’ai entendu derrière moi du remue-ménage, des cris et des commandements !…

Mais trois minutes, en pareil cas, c’est quelque chose, surtout avec des jambes comme les miennes ! Et je t’assure qu’un cerf aurait eu de la peine à m’attraper !

Ce que je me rappelle bien, par exemple, c’est que, dans la nuit, la petite voix aigre du lieutenant m’arrivait très nette.

Il lançait en allemand cette phrase à ses lourdauds de Bavarois :

— Vite !… Vite !… Au trot !… Rattrapez-le !… Mais ne tirez pas, surtout ! Il ne faut pas déceler la présence du poste. Si vous le gagnez, flanquez-lui un bon coup de baïonnette dans les reins !

Tu penses, maman, que je ne les attendis pas, pour leur permettre de pratiquer sur moi cette opération peu engageante ! Mais — tout de même — j’avais le cœur serré, en entendant le roulement de leurs talons ferrés sur le sol. J’avais gagné le bord du fleuve, et je dois, sans fausse honte, avouer que l’émotion ressentie me paralysa un instant. C’est que j’avais donné toute ma force, toute mon énergie, tous mes nerfs ; et ces périodes de tension exagérée ne peuvent durer longtemps.