Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/94

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D’une maison voisine, le buste du commandant Lambert émergea, et d’une voix de tonnerre il cria :

— En avant ! garçons !… C’est le moment ! Foncez dessus ! À la baïonnette ! Pas de quartier !

En une seconde, les maisons vomirent tout ce qu’elles renfermaient de défenseurs ! Ce fut une mêlée sauvage, formidable.

Parasol et moi, nous avions dégringolé au galop de notre clocheton ; je me lançai dans le tourbillon et… je ne me rappelle rien,… rien de ces quelques minutes où je me suis trouvé jeté dans ce cyclone !

Ce que je sais, c’est que cela ne dura pas longtemps !

Il y eut un emmêlement inouï, des heurts, des cliquetis, des hurlements, et en un clin d’œil nous avions repris la barricade !

Pépin avait une estafilade légère à la figure. Quant à moi j’avais reçu certainement un choc violent, car je ressentais une douleur contuse au bras gauche.

Était-ce un coup de crosse ? Probablement, mais je n’en sais rien !

Toujours est-il que nous nous préparions à reprendre nos positions primitives, quand le canon allemand recommença.

— Tonnerre ! hurla Parasol, en tendant rageusement le poing dans leur direction… Ah ! l’tas d’lâches ! ah ! les canailles !

Mais cette fois le tir des pièces allemandes était d’une régularité effrayante. Leurs obus semblaient placés à la main ! Tous portaient ! Les maisons encore épargnées s’allumèrent ; la rue fut prise en écharpe, et, la rage au cœur, nous dûmes, en longeant les maisons, nous replier en arrière de la place !

À peine y étions-nous rassemblés, qu’un nouvel assaut des Bavarois se produisit, enveloppant cette fois les trois faces nord-est, est et sud de Bazeilles !

C’était pis que les deux premières fois ! Ce n’était plus une attaque, c’était une invasion ! on eût dit un fleuve de baïonnettes et de casques qui s’engouffrait dans chaque rue.

La défense dut alors devenir en quelque sorte individuelle : chacun pour son compte et par petits groupes, on se mit à tirer dans cette mer d’habits bleus.

Mais que faire ? Les forces humaines ont une limite, si le courage n’en a pas ! Nous luttions rageusement un contre dix ! Nos cartouches s’épuisaient ;