Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/154

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Avec une vitesse extraordinaire la femme, saisissant avec une pince la plaque de cuivre rougie, l’avait appliquée sur le moignon du noir, arrêtant ainsi, comme par enchantement, l’effusion du sang.

Puis, sans perdre de temps, elle avait recouvert l’horrible brûlure avec la composition d’herbes et d’huile qu’elle venait de préparer et maintenu le tout à l’aide d’un morceau d’étoffe.

L’opéré avait repris son chibouk, laissant à sa femme le soin de panser la plaie, et regardant fixement le fils du sultan comme s’il eut voulu lui dire : « J’ai expié ma faute. Trouves-tu que j’aie manqué d’adresse et de courage ».

— Br… fit Hilarion, j’en ai la chair de poule. Voilà un gaillard qui n’en craint point !

De Melval, lui aussi, avait éprouvé un tressaillement à la vue de cette scène étrange.

Il savait, par expérience, que l’innervation dans la race noire n’est pas aussi parfaite que dans la race blanche, que les nègres pourvus d’un système nerveux moins sensible arrivent à supporter sans efforts des opérations qui défieraient toute la force morale du blanc[1], mais il n’en admirait pas moins le sang-froid et le mépris de la douleur dont venait de faire preuve ce soldat regardé comme indigne de combattre.

Il se disait qu’une armée formée de pareils hommes ne serait pas à dédaigner.

Et, pour la première fois, il se demanda si l’Europe, si son pays n’allaient pas courir un danger dont il ne s’était pas rendu compte jusqu’à présent.

Les armes perfectionnées, les machines à tuer les plus récentes, les troupes les plus aguerries, auraient-elles raison de ces millions d’êtres pour lesquels la douleur ne comptait pas et dont la mort était la plus enviable des récompenses ?

Et quel surcroît de force n’allait pas donner à cette « Invasion noire » un armement déjà perfectionné et surtout une discipline comme celle dont il venait de voir une des plus terribles conséquences.

Le condamné était parti sans gardiens, sautant sur un pied, appuyé sur l’épaule de sa femme.

  1. LOUIS JACOLLIOT. Voyage au Niger.