Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/38

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un de tes sujets, et je suis venu à toi pour me venger du pays où j’ai eu le malheur de naître.

— Tu es musulman, toi ? renégat, oui ; mais disciple de notre sainte religion, c’est impossible.

— Je suis musulman, te dis-je, et tu reconnaitras plus tard que tu as eu tort de douter de mes paroles. J’ai été instruit des vérités du Coran, à Damas, où je m’étais réfugié, et il y a trois ans déjà que je suis Hadj[1].

Le sultan considéra de nouveau, en silence, l’homme qu’il avait devant lui : il avait d’abord eu l’idée de l’écraser comme une vipère, mais se ravisant, il poursuivit :

— Et pourquoi as-tu quitté ton pays et renié ta religion ?

— Mon histoire est simple. Je suis né dans un des plus misérables quartiers de Londres ; j’ai vécu de la charité publique jusqu’au jour où j’ai pu suffire à mes besoins par le travail. Mais je me sentais capable de devenir autre chose qu’un bon ouvrier forgeron. J’ai étudié ; j’ai dirigé mes recherches vers la physique et la chimie ; avec un de mes amis, aussi pauvre que moi, j’ai réussi à inventer une machine perfectionnée destinée au forage des canons de fusil. Je m’adressai à une grande maison anglaise, à celle qui fabrique une partie du matériel de guerre anglais, la maison Armstrong : son directeur écouta mes explications, me promit le payement de ma découverte quand il aurait vu mes plans, et après les avoir vus, me renvoya sans un sou. Six mois après, mes machines fonctionnaient dans ses usines.

On m’avait volé mon invention.

Je me remis à l’ouvrage et trouvai le secret d’une poudre plus économique et plus puissante que la poudre employée pour les canons des vaisseaux. Cette fois je m’adressai à l’amirauté. Je fus volé par le gouvernement comme je l’avais été par les particuliers. Quand on est pauvre, en Angleterre, on ne compte pas. De désespoir, je me jetai dans la politique et je prêchai l’anarchie. Ne trouvant plus de travail, je connus la misère noire et la faim, et un jour que mon estomac criait famine, je tuai un riche pour pouvoir manger. Depuis ce jour, traqué comme une bête fauve, poursuivi dans

  1. Hadj est le titre que prend tout Arabe ayant fait le pèlerinage de la Mecque.