Page:Driant - L’invasion noire 2-grand pèlerinage à la Mecque,1913.djvu/92

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violés, et il avait été fou de lâcher le bonheur qu’il avait sous la main pour se raccrocher à une ombre vaine.

Il mit un baiser dans sa chevelure : elle renversa la tête et rencontra ses lèvres.

Et cette fois il oublia tout, noyant sa douleur aiguë dans le bonheur trop longtemps retardé, et remplaçant par l’adorable réalité le fantôme qu’il allait chasser de ses souvenirs…

Pendant ce temps, Saladin voguait au-dessus des massifs montagneux et bouleversés de l’Abyssinie méridionale, insouciant des incendies qui s’allumaient au-dessous de lui et qui faisaient ressembler ce malheureux pays à une de ces régions volcaniques de la chaîne des Andes, où les flammes jaillissent soudain de centaines de petits cônes épars autour d’un cratère central.

Sa rage n’était pas calmée, car il n’avait pu trouver l’occasion de l’assouvir avant son départ.

Après une nuit d’insomnie, il s’était en effet levé avant le jour, avait à grand’peine gravi l’échelle qui conduisait à la nacelle, et, muni d’une carabine, l’avait descendue plus péniblement encore.

Poussé par une idée fixe, il s’était dirigé vers le groupe de tentes qu’il savait occupé par les officiers de l’escorte du Sultan, se flattant de l’espoir que le lieutenant apparaîtrait.

Il s’était accroupi à quelque distance, les membres endoloris, serrant l’arme de ses doigts crispés, guettant comme un chat sauvage la proie qui ne songeait guère à sortir à pareille heure, car le brave Zahner, un peu fatigué de ses efforts musculaires de la veille, dormait à poings fermés.

Puis il avait entendu un souffle derrière lui. Mata, très surpris de cette promenade matinale de son nouveau maître, l’avait suivi, intrigué de la direction qu’il prenait, de l’arme qu’il portait, de sa démarche traînante, et, en le voyant, Saladin avait compris qu’il avait auprès de lui un surveillant plutôt qu’un aide.

Une imprudence pouvait le perdre : il était remonté dans la nacelle toujours suivi du gardien ; mais il avait remarqué son air ahuri lorsqu’il l’avait croisé, et rentré dans sa cabine s’était regardé dans une glace.

Il était tuméfié, les yeux en virgule, le nez doublé de volume, le front criblé de marques noirâtres, la mâchoire