De quel amour voulait-il parler ? C’était insensé !
Mais elle n’avait pas eu besoin d’aller loin pour deviner de quoi il s’agissait.
Elle reconnut de suite dans la citation que faisait de Melval une phrase de la lettre qu’elle avait écrite quelques heures à peine avant le départ du Tzar, et fait remettre par son père à M. Durville avec un bouquet, un petit calendrier et une bague portant sa miniature.
Et du premier coup la vérité lui était apparue.
Sa lettre était arrivée, en effet, mais en passant par quelles mains ?
Par celles de l’assassin de M. Durville, de ce Saladin qu’elle avait jeté dehors comme un laquais le jour même du départ de l’aérostat.
Et elle n’avait pas eu de peine à reconstruire l’échafaudage de mensonges accumulés par le misérable ; avec une lucidité parfaite, elle l’avait vu s’emparant de la lettre et en déchirant la suscription pour faire croire qu’elle lui était adressée ; puis se servant de cette arme pour torturer le malheureux rencontré dans les solitudes de l’Afrique orientale.
Ah le maudit !
Quelle malencontreuse idée avait eue son père en offrant à la mission de M. Durville l’aide d’un pareil monstre !
Mais ce qui avait stupéfié le plus la jeune fille, c’est que de Melval eût pu croire un instant à l’amour de Christiane pour cet homme…
Sans doute, il était malade, affaibli là-bas dans ces pays de fièvre, et cette défaillance s’expliquait ainsi.
Mais quelle différence entre sa foi à elle et sa confiance à lui !…
Dans son ignorance de la vie et sa chaste interprétation des choses, elle l’avait cru fidèle, croyant, comme elle-même, et voilà que dans cette lettre il écrivait :
« Tout est fini entre nous, et à l’heure où je vous écris, j’ai repris moi-même ma liberté. »
Une douleur aiguë l’avait traversée en lisant cette phrase. Comment avait-il usé de sa liberté reprise ?
Mais elle ne s’était pas arrêtée à des suppositions qui eussent répugné à sa nature si droite, à son cœur si plein de lui.