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Page:Driant - L’invasion noire 3-fin de l’islam devant Paris,1913.djvu/168

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— Et ces tentes ?

— Elles sont à Kassongo.

— Et quels sont ces points noirs dans la plaine ?

Le khodja ne répondit rien ; il ne reconnaissait plus l’immense terrain plat qui s’étendait devant lui, bien que l’ayant étudié maintes fois pour être en mesure d’expédier aux différentes armées les ordres du Maître.

La lune était au bas de sa course à l’horizon, et éclairait encore pour quelques instants le paysage glacé. Au loin, sur la droite, les hauteurs, occupées par l’ennemi, montraient en saillie sur leurs crêtes des centaines de cônes au sommet arrondi, tourelles cuirassées battant dans tous les sens les terrains d’accès de cette deuxième ligne de défense.

Soudain Sélim, qui venait de descendre la colline et de s’avancer de quelques centaines de mètres, poussa un cri étouffé.

Son cheval venait de s’abattre des quatre pieds, et comme il remontait péniblement sur sa bête dont les jambes flageolaient sans pouvoir se cramponner au sol :

— Seigneur ! s’écria l’Iman en se précipitant vers le Sultan : Dieu lui-même t’ouvre la voie vers Belgrade !… Regarde !…

Il tendait le bras vers le Nord-Est et dans le lointain des milliers de lueurs apparurent.

— C’est Semlin, dit-il, de l’autre coté de la rivière, et tes soldats peuvent l’atteindre avant la venue du jour !…

— Mais la rivière ? fit le Sultan.

La rivière ! la voilà, poursuivit l’Iman d’un air inspiré, c’est cette plaine recouverte maintenant d’une croûte glacée capable de te porter, toi et tous les tiens. C’est elle qui te barrait le chemin ! elle te l’ouvre aujourd’hui ! marche, fils de Mahomet ! c’est Allah qui le veut !

Pour toute réponse, le Sultan fit un signe et ses vingt Soudanais rejoignirent Sélim au bas de la pente. Il y eut un tourbillonnement, plusieurs chevaux s’abattirent encore, mais la glace ne se rompit pas. La Save était prise sur toute l’étendue de son cours. [1]

  1. La Save et la Drave sont fréquemment congelées, et c’est sur la glace que de nombreux Hongrois, résidant à l’étranger, en Croatie et en Dalmatie, parvinrent traverser la Save dans l’hiver en 1848 pour rejoindre Kossuth, pendant que d’autres, comme le lieutenant Pompée Fiatht, traversaient le Dniester à la Nage. C’est aussi sur la glace de la Save que les loups, les sangliers et les ours de Smyrnie, grande forêt entre Drave et Save, passent l’hiver en Serbie.