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Page:Driant - L’invasion noire 3-fin de l’islam devant Paris,1913.djvu/53

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— Achève, fit-il doucement, dis-moi ce qui te fait mal, Nedjma ?

— Ce qui me fait mal, dit-elle, c’est que tu vas m’oublier quand tu seras dans ton pays. Oui, je sais bien, tu vas dire non ; mais moi je le sens. Comment veux-tu que je lutte dans ton cœur avec les femmes de ta patrie… ?

Il se récria.

Avec l’une d’elles surtout, reprit-elle lui mettant sa main sur la bouche : ne nie pas, Lioune, tu ne l’as pas oubliée. L’autre soir, je t’ai vu, tu as tiré son image, tu l’as regardée… longtemps, trop longtemps, et j’ai pleuré comme ce soir.

Il se tut, songeur ; ce qu’elle lui disait là le replongeait dans tout un monde d’idées nouvelles, et son regard erra rêvant sur la ville morte.

Ce n’était plus la blanche ville turque, éblouissement des yeux, jouet de la lumière et de la couleur ; c’était un immense cratère éteint sur lequel les maisons restées debout mettaient quelques facettes brillantes ; mais au loin, vers l’Occident flèche lumineuse vibrait à la surface liquide, semblant lui montrer le chemin de l’Europe.

Ces ruines étaient-elles l’image de son amour pour Nedjma, amour né des sens et de la solitude, amour entretenu par le désir mais destiné à s’éteindre au contact des souvenirs d’antan ? Et ce rayon là-bas n’était-il pas l’amour ancien se réveillant plus vivace à mesure que se rapprochait l’heure du retour ?

— Pourquoi attrister ce dernier jour ? dit-il… ne sais-tu pas que je t’aime…

Elle ne répondit rien.

— Ne veux-tu plus me suivre ? reprit-il.

— Tu sais bien, Lioune, que je suis ta chose ; tu n’as qu’à me dire « viens » et je te suivrai du côté du soleil couchant comme du côté du Midi…

— Alors, pourquoi pleurer ?

— Je te l’ai dit, parce que je sens que tu penses maintenant à celle que tu vas revoir.

— Je ne la reverrai jamais !

— Jamais ? interrogea-t-elle.

— Jamais, répéta-t-il en t’attirant doucement contre lui. Et maintenant, ne pleure plus, ma petite gazelle.