Page:Drieu La Rochelle - Les Chiens de paille, 1964.djvu/102

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apparente avec Bardy – cela, en dépit de son immense détachement d’homme qui avait tout possédé sur cette planète et qui était saturé de tout. Il avait toujours tout possédé bien qu’ayant été toujours très pauvre, mais les haltes des vagabonds et les possessions des pauvres ont un pouvoir fulgurant. L’ayant saisie dans sa plus vive fugacité, il la goûtait maintenant dans sa profonde station. Il la voyait sans la regarder et elle était trop façonnée par Liassov pour en ressentir un malaise, comme aurait fait une autre femme qui aurait cru voir dans ces regards blancs quelque chose de sournois ou de dédaigneux. La pureté n’est probable et admissible que chez un homme comblé de toutes les ordures et les ayant enfin distillées.

— J’aime votre religion orthodoxe, déclara Constant. On dirait que chez vous mieux que chez nous le chrétien a sauvegardé son hérédité païenne, c’est pourquoi l’esprit évangélique chez Dostoïevsky et chez Tolstoï s’élève comme une fleur si forte : elle est bien nourrie par en dessous. Dans votre clergé, vous avez des prêtres mariés à côté des moines.

— Nous avons connu aussi l’horreur du péché.

Mais les païens l’ont connue avant les chrétiens.

On ne peut plus admettre cette opposition entre le monde païen et le monde chrétien où Nietzsche s’est enfermé. Nietzsche opposait injustement le christianisme actuel, qui est tout à fait dégénéré et imbécile, c’est entendu, sauf chez quelques artistes de génie, à un paganisme