Page:Drieu La Rochelle - Les Chiens de paille, 1964.djvu/110

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Il y avait un trait dans la situation de Bardy qui le rendait séduisant aux yeux de Constant, c’est qu’il était dans le milieu français la minorité, l’exception. Peut-être avait-il cru, en 1940, devenir la règle d’ailleurs et que cela avait grandement facilité sa prise de position. Constant le lui avait demandé crûment. L’autre lui avait répondu :

— Je me suis souvent posé la question. Mais non. J’ai attendu plusieurs mois avant d’agir et je savais que j’allais me brouiller avec tout le monde, mais cela a été plus fort que moi. Même si je m’étais abstenu de toute action, je n’aurais pas moins été suspect. Je me sens suspect en France depuis plusieurs années.

— Votre amitié avec les Liassov, avec ces transcendants étrangers vous a peut-être mis sur cette pente.

— Je ne me considère pas comme l’ami de Liassov, qui est un homme supérieur. Quant à elle… Je ne suis pas de ces hommes sur qui une femme peut influer. Je méprise les femmes autant que vous.

— Je ne les méprise pas, je les vois dans leur royaume.

— Allons, vous les méprisez, vous les haïssez. Vous méprisez et peut-être vous haïssez les hommes aussi.

— Alors, je suis infirme.

— Vous êtes ce que vous êtes.

— Que cela ! soupira Constant… Est-ce que vous connaissez les Allemands ?