Page:Drieu La Rochelle - Les Chiens de paille, 1964.djvu/47

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de Salis, si elle était la neuvième fille dans une famille de quinze enfants, n’avait pas été dans le ruisseau mais, fille d’auberge, elle avait été cueillie par un peintre andalou qui en avait fait son modèle et sa maîtresse. Le petit Gabriel était né. Au bout de quelques années, l’Andalou était brusquement sorti de la misère noire et avait commencé à gagner de l’argent. Il avait rencontré une comtesse de son pays qui l’avait enlevé et ramené là-bas. Alors la Bretonne, qui ne recevait qu’une très maigre pension de façon fort intermittente, avait essayé de devenir modèle et avait glissé au trottoir de Montparnasse. Puis elle était morte et le petit Gabriel avait été recueilli par un vieux peintre sans talent, ivrogne, qui regrettait sa charité et qui même n’avait agi que par méchanceté, car il haïssait et battait le gosse. Le gosse s’était échappé et avait été pris en train de voler à une devanture. On l’avait enfermé dans une maison de correction. Son père, averti, l’en avait tiré et l’avait pris avec lui. Il travaillait de nouveau en France, ayant quitté la comtesse qui en peu de temps l’avait dégoûté des mondanités. Mais le petit avait été marqué par la crise de plusieurs années qu’il avait traversée et en voulait à son père et à la vie. Plus tard, il n’en voulut plus à la vie mais à la société. Il n’avait aucune disposition pour le métier de son père, ou peut-être en aurait-il eu, mais il détestait trop tout ce qui pouvait venir de lui. Il ne fit pas d’études, mais lut à tort et à travers. De très bonne heure il entra à Barcelone dans le mouvement anarchiste. Il