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me suis aperçu un jour que j’employais des mots qui étaient aussi ceux des mystiques : allais-je m’en priver ? Voyons, vous qui n’êtes pas un fanatique, vous qui avez horreur des systèmes, vous reconnaîtrez un fait qui n’est étranger à aucun d’entre nous : nous avons tous, d’une façon ou d’une autre, le sentiment que nous ne pouvons mettre le meilleur de nous, notre plus vive étincelle dans notre vie de tous les jours, mais qu’en même temps cela ne se perd pas. Vous ne trouvez pas ? Cette vivacité qui s’élance en nous et qui semble étouffée par la vie, ne se perd pas ; elle s’accumule quelque part. Il y a là une réserve indestructible, qui ne se désagrégera pas le jour où les forces de notre chair fléchiront, ce qui nous garantit une vie mystérieuse…

Urcel s’arrêta. Totote laissa entendre un râle de fureur, Alain regardait Urcel avec de plus en plus de malveillance.

— Je n’ai jamais senti que moi dans moi.

Mais alors que l’envahissait un plus long cri, il s’arrêta net. Il s’étonnait du nouveau développement que nourrissait la ruse d’Urcel, une ruse tout intérieure et qui ne pouvait duper que celui-là qui s’en servait. Mais, en se dupant, Urcel assurait sa tranquillité. Il s’était dit d’abord : « Je ne me perds pas parce que je fume, mais je fume parce que je me perds », – raisonnement qu’Alain connaissait bien. Ensuite, il avait ajouté : « Au reste, ma perte n’est