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rateur  : ce n’est pas la première ni la dernière fois que je répands de l’encre sur la tombe d’un ami.

Tu as aimé quelque chose dans Cocteau et quelque chose dans Aragon. Je ne puis pas me rappeler que tu aies jamais parlé de Rimbaud.

Je t’ai apporté des fleurs un soir tellement j’étais lâche. Je n’osais plus te parler, te crier ma foi. Ma foi dans tout ce que tu haïssais, tu vomissais, dans tout ce que tu as tué d’un coup de revolver.

Comme tu n’avais pas de passions, tu avais des vices. Comme tu étais un enfant, tes vices étaient gourmandise. Et tes gourmandises étaient d’enfant : tu étais avide de sommeil et de jeu, de jeu et de sommeil. Tu jouais avec tes bouts de dieu : photos cocasses, coupures de journaux, est-ce que je sais ? et puis, bavardant, tu jouais encore avec des anecdotes… ramassées dans les almanachs, des traits de l’impuissance humaine comme nous en sommes criblés, chaque jour. Et puis le soir arrivait. Alors tu te droguais, tu te piquais, tu riais, riais, riais. Tu avais des dents pour un ricanement inoubliable : fortes et serrées et solides dans une forte mâchoire, dans une figure au cuir large. Tu riais, tu ricanais ; et puis tu tombais mort. Mais tu renaissais, dans ce temps-là, chaque lendemain. Comme un feu follet ou un farfadet des marécages, tu renaissais d’une bulle d’air méphitique. Tu avais le corps d’un triton et l’âme d’un farfadet.