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jusqu’à la fin des siècles. Je suis hanté, habité par mes amis, ils ne me quittent pas un instant. C’est ce qu’ils voulaient dire avec leurs .........[1] et leurs anges gardiens.

Je n’ai jamais vu un homme plus chrétien que toi, apparemment. Tu jetais sur toutes choses le regard dépris du chrétien : le soleil ne brillait pas, la mer ne remuait pas, ce n’était pas une bonne saison pour les seins. Avec quel pâle sourire tu me disais : « C’est une belle femme », avec quel ricanement tu ajoutais : « Je la clouerais bien sur ma paillasse. » Je t’ai vu faire l’amour une fois ; je crois que c’est la plus grande blessure que j’ai reçue de ma vie. Une érection toute facile, parfaitement impavide, et tu éjaculais le néant. La femme te regardait avec des yeux hébétés par une épouvante que ton regard courtois glaçait.

Oui apparemment rien de plus chrétien que toi. Ne t’étais-tu pas mis, sans le savoir, à l’école des dandys : un parfait gentleman chrétien. L’automate, formé d’une cravate impeccable, impeccante, qui démontre l’existence de l’âme par son absence. Brummel buvait et baisait comme toi. Pour lui ressembler, il te manquait de l’autorité.

Il y avait la bande de ceux qui voulaient mourir, mais pas une fois (comme lui) cent mille fois – qui voulaient vivre après s’être

  1. Mot manquant dans le manuscrit.