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Alain donnait sur un ton gentil ces réponses fâcheuses. Les livreurs ne pouvaient pourtant pas dire qu’il se foutait d’eux.

— Je suis malade.

— Ah ‬c’est donc ça.

— Ça, quoi ?

— Ben, vous n’avez pas bonne mine.

— Vous pouvez dire que j’ai une sale mine.

— Vous avez peut-être été gazé.

— Gazé ? Oui, j’ai été gazé.

— C’est mauvais, mais des fois on s’en remet.

J’ai un copain, c’est à Montdidier qu’il a ramassé ça…

— Ne parlons pas de la guerre.

Le livreur se tut aussitôt.

Toute bonhomie avait disparu du visage d’Alain. « Ils sont tous pareils », murmura-t-il.

— Hein ? demanda celui qui n’avait encore rien dit.

— Oh ! rien. Ça ne vous ennuie pas de ne pas avoir d’argent ?

— Ah ! dame !

— Moi, ça m’ennuie.

— Forcément, si vous ne travaillez pas, vous ne pouvez pas gagner.

Les livreurs considéraient d’un air perplexe le costume d’Alain.

— Ça vous épaterait si je vous disais que je suis aussi pauvre que vous, que je suis même de la cloche.