Page:Du Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 1.djvu/20

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ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY CHAPITRE III POURQUOY LA LANGUI- FRANÇOISE N'EST SI RICHE QUE LA GRECQUE ET LATINE Et si notre langue n’est si copieuse et riche que la grecque ou latine, cela ne doit estre imputé au défaut d’icelle^ comme si d’elle mesme elle ne pouvoit jamais estre sinon pauvre et stérile^ : mais bien on le doit atirilnier à l’ignorance de y nos majeurs, qui, ayans (comme dit quelqu’un, parlant des anciens Romains) en plus grande recommandation le bien faire, que le bien dire, et mieux aimans laisser à leur postérité les exemples de vertu que des préceptes, se sont privez de la gloire de leurs biens faits, et nous du fruict de l’imitation d’iceux : et par mesme moyen nous ont laissé nostre langue si pauvre et nue qu’elle a besoin des omemens, et (s’il faut ainsi parler) des plumes d’autruy. Mais qui voudroit dire que la grecque et romaine eussent toujours esté en l’excellence qu’on les a veues du temps d’Homère et de Demosthene, de Virgile et de Ciceron ? Et si ces autheurs eussent jugé que jamais, pour quelque diligence et culture qu’on y eust peu faire, elles n’eussent sceu produire plus grand fruict, se fussent-ils tant efforcez de les mettre au poinct où nous les voyons maintenant ? Ainsi puis-je dire de nostre langue, qui commence encore à fleurir sans fructifier, ou plustost, comme une plante et vergette, n’a point encore fleuri, tant s’en faut qu’elle ail apporté tout le fruit qu’elle pourroit bien produire., Cela certainement non pour le défaut de la nature d’elle, aussi apte à engendrer que les autres, mais pour la coulpe de /, ceux qui l’ont eue en garde, et ne l’ont cultivée à suffisance, àiiïs comme une plante sauvage, en celuy mesme désert où elle avoit commencé à naistre sans jamais l’arrouser, la tailler, ny défendre des ronces et espincs qui luy faisoicnt ombrCj l’ont laissée envieillir et quasi mourir. Que si les anciens Romains eussent esté aussi negligens à la culture de leur langue, quand premièrement elle commença à pulluler, pour certain en si peu de temps elle ne fust devenue si grande. Mais eux, en guise de bons agriculteurs, l’ont premièrement transmuée d’un lieu sauvage en un domestique ; puis afin que^plus tbsrêt mieux elle peu^_ fructifier, coupant à l’entour les inut i 1er Tîm^ux, Terni pour eschange d’iceux resuurée de rameaux francs et domestiques, magistralement tirez de la langue ^ grecque, lesquels soudainement se sont si bien entez et faits semblables a leur