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XLIX

Si apres quarante ans de fidele service
Que celuy que je sers a fait en divers lieux,
Employant, liberal, tout son plus et son mieux
Aux affaires qui sont de plus digne exercice,

D’un haineux estranger l’envieuse malice
Exerce contre luy son courage odieux,
Et sans avoir souci des hommes ni des dieux,
Oppose à la vertu l’ignorance et le vice :

Me doy-je tourmenter, moy qui suis moins que rien,
Si par quelqu’un (peut estre) envieux de mon bien,
Je ne trouve à mon gré la faveur opportune ?

Je me console donc, et en pareille mer,
Voyant mon cher Seigneur au danger d’abismer,
Il me plaist de courir une mesme fortune.

L

Sortons (Dilliers), sortons, faisons place à l’envie,
Et fuyons desormais ce tumulte civil,
Puis qu’on y void priser le plus lasche et plus vil,
Et la meilleure part estre la moins suivie.

Allons où la vertu, et le sort nous convie,
Deussions nous voir le Scythe, ou la source du Nil,
Et nous donnons plus-tost un eternel exil,
Que tacher d’un seul poinct l’honneur de nostre vie.

Sus donques, et devant que le cruel vainqueur
De nous fasse une fable au vulgaire moqueur,
Bannissons la vertu d’un exil volontaire.

Et quoy ? ne sçais-tu pas que le banni Romain,
Bien qu’il fust dechassé de son peuple inhumain,
Fut pourtant adoré du barbare coursaire ?

LI

Mauny, prenons en gré la mauvaise fortune,
Puis que nul ne se peut de la bonne asseurer,
Et que de la mauvaise on peut bien esperer,
Estant son naturel de n’estre jamais une.