Page:Du Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 3.djvu/78

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Il fait bon voir dehors toute la ville en armes
Crier: le Pape est fait, donner de faux alarmes,
Saccager un palais ; mais plus que tout cela

Fait bon voir, qui de l’un, qui de l’autre se vante,
Qui met pour cestui-ci, qui met pour cestui-là,
Et pour moins d’un escu dix Cardinaux en vente.

LXXXII

Veux-tu sçavoir, Duthier, quelle chose c’est Rome ?
Rome est de tout le monde un public eschafaut,
Une scene, un theatre, auquel rien ne defaut,
De ce qui peut tomber ès actions de l’homme.

Ici se voit le jeu de la Fortune, et comme
Sa main nous fait tourner ores bas, ores haut :
Ici chacun se monstre, et ne peut, tant soit caut,
Faire que tel qu’il est, le peuple ne le nomme.

Ici du faux et vray la messagere court,
Ici les courtisans font l’amour et la court,
Ici l’ambition, et la finesse abonde :

Ici la liberté fait l’humble audacieux,
Ici l’oisiveté rend le bon vicieux,
Ici le vil faquin discourt des faits du monde.

LXXXIII

Ne pense, Robertet, que ceste Rome ci
Soit ceste Rome là, qui te souloit tant plaire.
On n’y fait plus credit, comme l’on souloit faire,
On n’y fait plus l’amour, comme on souloit aussi.

La paix, et le bon temps ne regnent plus ici,
La musique, et le bal sont contraints de s’y taire :
L’air y est corrompu, Mars y est ordinaire,
Ordinaire la faim, la peine, et le souci.

L’artisan desbauché y ferme sa boutique,
L’ocieux avocat y laisse sa pratique ;
Et le pauvre marchand y porte le bissac :